samedi 25 juin 2022

Le narratif poutinien, 72. La faute à Rousseau

Pour se délasser de ses longues journées harassantes, penché sur les cartes, le tsar Vladimir se fait lire par son ministre de la Culture quelques classiques. Le hasard du jour s’est porté sur une traduction du Contrat social, un vieux délire démocratique du citoyen paranoïaque Jean-Jacques Rousseau. Justement, il parle de la Russie.
Tel peuple est disciplinable en naissant, tel autre ne lʼest pas au bout de dix siècles. Les Russes ne seront jamais vraiment policés, parce quʼils lʼont été trop tôt. Pierre avait le génie imitatif; il nʼavait pas le vrai génie, celui qui crée et fait tout de rien. Quelques-unes des choses quʼil fit étaient bien, la plupart étaient déplacées. Il a vu que son peuple était barbare, il nʼa point vu quʼil n’était pas mûr pour la police ; il lʼa voulu civiliser quand il ne fallait que l’aguerrir. Il a dʼabord voulu faire des Allemands, des Anglais, quand il fallait commencer par faire des Russes ; il a empêché ses sujets de devenir jamais ce quʼils pourraient être, en leur persuadant quʼils étaient ce quʼils ne sont pas. Cʼest ainsi quʼun précepteur français forme son élève pour briller au moment de son enfance, et puis nʼêtre jamais rien. LʼEmpire de Russie voudra subjuguer lʼEurope et sera subjugué lui-même. Les Tartares ses sujets ou ses voisins deviendront ses maîtres et les nôtres : cette révolution me paraît infaillible. Tous les rois de lʼEurope travaillent de concert à lʼaccélérer.
Le tsar n’est pas sûr d’avoir bien tout compris. Mais il a demandé que la phrase vers la fin soit réécrite avant la diffusion du livre dans les bibliothèques : « L’Empire de Russie voudra subjuguer d’Europe, et l’Europe, par faiblesse et lâcheté, se laissera subjuguer. » Et on supprima ce qui concerne les Tartares, qui n’est plus d’actualité.

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