lundi 25 septembre 2017

Disparitions


La femme la plus riche du monde est morte en pauvre femme.

Disparition de Janine Charrat : je crois me souvenir que son tutu en nylon avait pris feu alors qu’elle dansait dans un spectacle donné aux chandelles dans les salons de l’Élysée devant De Gaulle, mais je n’en suis plus très sûr. Ce qui est certain, c’est que ses brûlures ont servi de leçon à ceux qui portaient des vêtements synthétiques, de même que Claude François a sauvé la vie à des inconscients tentés de bricoler une ampoule défaillante quand ils sont dans leur baignoire.

Après « Si l'école faisait son travail, j'aurais du travail ! », le MEDEF annonce d’autres « slogans impertinents et intrigants » contre le « système scolaire », à réformer pour « rendre les jeunes 100% employables ».
Voici quelques slogans possibles :
Si j’avais réussi à l’école, je ne serais pas devenu Michel Drucker.
Si l’école m’avait rendu ployable, je serais employable.

mercredi 20 septembre 2017

Quai des livres


Il y a une dizaine d’années, j’ai vu sur ces quais un particulier qui vendait des livres semblables à ceux de ma bibliothèque professionnelle. Comment pouvait-on ? C’était comme une profanation, un prêtre qui vendrait sa soutane, le saint-ciboire et les hosties. Aujourd’hui, c’est moi qui suis à sa place, bradant ce qui déborde des étagères, en vitrine.

On vend quand même les livres qu’on n’aime pas, ou plus, et on s’entend dire : Prenez et lisez, vous verrez, vous ne regretterez pas.

Certains acheteurs monomaniaques à la recherche d’un seul livre font tous les stands et posent la même question. J’en ai eu quatre :
— Avez-vous des livres sur le sport, le cyclisme en particulier ?
— Non, ce n’est pas mon rayon.
L’homme en quête salue d’un sourire à retardement le jeu de mots — involontaire.
— Je cherche un livre sur André Citroën.
— Un livre sur le scrabble ?
Devant mon air incrédule, Antoine croit utile de me préciser qu’il s’agit d’un jeu de société, consistant à assembler des lettres tirées au hasard pour faire des mots, et c’est celui qui…
Une dame propre sur elle, BCBGBQ (beaux quartiers) :
— Par hasard, vous n’auriez pas Mein Kampf ?
Et elle se sauve sans demander son reste, comme si elle avait dit un gros mot à la messe.

Les meilleurs clients sont les fous, les collectionneurs compulsifs, ceux qui achètent et ne lisent pas.

dimanche 3 septembre 2017

Ground Zero


Pour une fois, la quantification sert l'émotion. Un musée pour chaque chose à NY. Les Américains savent commémorer. Difficile de muséographier à vif le traumastisme encore ouvert. C'est plutôt bien fait, avec un mélange d'objets, une scénographie inventive au service de ce qu'on veut montrer, une balance réussie entre les individus singuliers et le collectif anonyme, par la superposition des voix et des messages écrits. L'exhibition, mal sonnant aux oreilles françaises, évite la faute, jusqu'à la boutique exclus, à une exception près : une brique de la maison où Ben Laden a été tué. La brique en terre sale, non.

Belle idée des deux bassins en fondations inversées, avec ces pleurs qui coulent à l'infini, et se perdent dans un puits central, dont on ne voit pas le fond. Simple et symbolique, d'un symbolisme qui parle à tous, sans les explications de l'art conceptuel.

Sens du détail dans l'organisation : à l'entrée des petites salles semi-ciculaires qui jalonnent le parcours, où l'on entend les derniers messages d'amour des passagers otages dans le quatrième avion, ont été disposés un distributeur de kleenex et une petite poubelle.

Les oeuvres d'art aussi ont eu leurs victimes. The Three Shades est réduit à une seule ombre : un homme de bronze décapité, poitrine ouverte, jambes tordues. Le groupe était à sa place en haut des Portes de l'Enfer. Comme un cauchemar de Rodin : le feu de l'enfer a terminé le puissant travail de déformation des corps.

samedi 2 septembre 2017

First


Les Américains cultivent tellement le culte du first (collectif et individuel) qu'on voit dans le métro des pubs pour être le "first" informé du temps qu'il fait, le "first" informé des perturbations du métro, etc.

Dans le miroir, c'est moi qui me vois. Sur une photo, je me vois tel que les autres me voient, et c'est une catastrophe.

Sur le trottoir, près de Wall Street, un jeune Juif tout ce qu'il y a de plus juif, avec kippa, barbe, tout de noir vêtu, m'accoste : Are you Jew ? Pour une fois, je comprends, le contexte aidant : No. Mon ami américain, juif, me dit que la question ne l'étonne pas, que je fais juif. Why ? Le nez ? Non, l'air. Un air astucieux (je traduis : rusé), et... cynique. Cynique ? Oui, cynique. Plus tard, il se corrige : ce n'est pas cynique qu'il voulait dire, mais sceptique, excuse-moi, j'ai confondu les deux mots. Antoine ne retient que les deux premiers caractères, astucieux et cynique. Si l'ami américain n'était pas juif et que je l'étais, je le soupçonnerais d'antisémitisme.

Antoine, à propos de son géniteur : Parfois, des méandres du rien, il peut surgir un Dieu.