mercredi 31 août 2016

Commerces


Esthétique du boucher : Un beau steak est un gros steak. S’il n’est pas beau, le steak est moyen, ou petit. Et comment répondre non quand le boucher demande : Un steak, un beau ?

Quand on lui demande un deuxième steak équivalent au premier, le boucher traduit : Même punition. Mais avec le sourire. On devine que la sentence ne sera pas trop sévère. C’est l’addition qui risque d’être lourde, comme les réparations du préjudice après le jugement.

Devant moi, un client demande trois tomates crescendo. L’épicier a l’air de savoir ce qu’il veut dire, et il met trois tomates dans le sachet. Puis trois pêches crescendo. A-t-on affaire à un musicien maniaque ? Ou bien au père des trois ours, un grand, un moyen, un petit ? Et enfin trois abricots également crescendo, et il ajoute, en se parlant à lui-même : un pour aujourd’hui, l’autre pour demain et le troisième pour après-demain. Et cerise sur le gâteau : il voudrait, s’il vous plaît, 27 cerises, sans préciser s’il les souhaite crescendo, sur le mois.

Glissement de vocabulaire : Sur la carte des restaurants, « café gourmand » a été remplacé par « café douceur ». Chez le fleuriste, « rose éternelle » ou « rose immortelle » par « rose stabilisée ». Époque qui se sait mortelle, et qui s’en console en se faisant du bien.

En semaine, le commerçant salue le client partant d’un « Bonne journée » ; le samedi : « Bon week-end », et le dimanche : « Bon dimanche ». Et on recommence. 

vendredi 26 août 2016

Ah ! que la Vie est quotidienne...


Un pauvre trouve toujours un plus pauvre que lui pour se consoler et un riche un plus riche pour le jalouser. Ce qui suffirait à démontrer que le riche est plus malheureux que le pauvre.

Malgré plusieurs décennies de structuralisme, nous avons encore du mal à penser la relation. L’esprit reste essentialiste ou substantialiste, accordant toujours plus d’importance aux éléments séparés qu’aux rapports entre eux. Flaubert a écrit un jour une belle phrase à son « disciple » Maupassant, qui se plaignait de son sort : « Avez-vous jamais cru à l'existence des choses ? Est-ce que tout n'est pas une illusion ? Il n'y a de vrai que les “rapports” ». En 42 années, 11 mois et 18 jours de service dans l’enseignement, j’ai subi d’innombrables réformes et entendu autant de discours inspirés sur l’École, dont l’une des questions principales consistait à savoir ce qu’on allait placer au « centre du système pédagogique » : l’élève au centre, l’enseignant au centre, la connaissance au centre, les parents d’élève au centre. Mais personne pour dire que le « système » ne tiendrait que par les liens qui réunissaient tous les éléments.

On devrait généraliser à la planète ce qu’on lit dans certaines toilettes : « Prière de laisser ces lieux aussi propres que vous les avez trouvés » (variante : « aussi propre que vous souhaiteriez les trouver »). Et condamner les inciviles qui laissent derrière eux une canette de bière à une peine de substitution consistant à filtrer l’Atlantique avec une épuisette à déchets. Me revient le souvenir de cette automobiliste à l’arrêt ouvrant sa portière de voiture et vidant dans le caniveau les mégots du cendrier : « Eh, madame, y a une poubelle à trois mètres. — Ben, je paye des impôts pour les balayeurs. »

Même avec du coaching mental et après si longtemps, il est difficile d’engouffrer sa voiture sous un tunnel sans avoir une pensée pour Lady Di, ou de monter dans sa baignoire en évitant de fredonner une chanson de Claude François.

vendredi 19 août 2016

JO de Rio


Parfois, le silence est d’or :
— « L’argent, c’est mieux que le bronze » (Mélina Robert-Michon, lancer du disque)
— « Il faudra sauter haut » (Renaud Lavillenie, saut à la perche)
— « Je sais qu’il faut que je coure vite » (Christophe Lemaître, 200 mètres)
— « Il y a de l’argent qui vaut de l’or » (présentatrice télé, 19 août 2016)

On attend d’un champion de haut niveau qu’il prenne de la hauteur, au lieu de répondre à la bassesse par la bassesse.

Quand on voit la France pointer à la 7e place après les États-Unis, la Chine et la Russie, on se dit qu’il est urgent de faire l’Europe olympique pour additionner les médailles.

lundi 15 août 2016

Questions qui se posent


Jean — Savoir nager, ça sert surtout quand on tombe à l’eau. Le plus souvent, on tombe tout habillés. Alors, pourquoi est-ce qu’on apprend à nager en maillot de bain ?

Après avoir donné son sang, le généreux donateur reçoit un sandwich. Quelle gâterie a-t-on prévu après un don de sperme ?

Une grosse dame arbore un T-shirt sur lequel on lit, en très grosses lettres : I am a fat lady. Pendant qu’on est occupé à lire les mots, combien de kilos enlève-t-on à la chose ?

vendredi 12 août 2016

Jacqueline Sauvage


Le Tribunal d’application des peines (TAP) justifie le rejet de la demande de libération conditionnelle de Mme Sauvage par quatre arguments qui paraissent assez faibles : réflexion « très limitée », proximité du lieu des faits, médiatisation, notion d’interdit pas vraiment intégrée.

Nous nous permettons de suggérer au TAP d’autres motivations de sa décision :

1) Mme Sauvage n’a enduré que 47 années de violences conjugales. Elle aurait pu patienter encore trois ans pour atteindre un chiffre rond.

2) Mme Sauvage aurait dû attendre d’être tuée par son mari violent avant de se faire justice, en retournant l’arme contre lui.

3) Mme Sauvage est âgée de 69 ans. Si elle sort de prison maintenant, elle pourra se remarier et retuer un mari violent au bout de 47 nouvelles années de vie conjugale. Ce qui prouve sa dangerosité.

4) Mme Sauvage s’appelle Sauvage, ce qui n’est pas une garantie de réinsertion. Son mari s’appelait Marot, nom d’un gentil poète, assez clément.

mercredi 10 août 2016

JO de Rio


Après qu’un nageur blanc eut accusé un nageur jaune de « pisser violet », l’eau du bassin « a mystérieusement tourné au vert ». Le CIO enquête.

Aux derniers jeux olympiques, la France avait des possibilités de médailles. Aux JO de Rio, elle a des « potentialités de médaillables » (France-Inter, 5 août 2016), ce qui semble plus prometteur.

Les candidats aux jeux paralympiques se dopent aussi : en quoi les handicapés prouvent qu’ils sont des athlètes comme les autres.

« C’est compliqué » : à l’entrée « Médialecte » de son Apostille, Gérard Genette relevait cette litote utilisée pour désigner une situation difficile (Seuil, 2012, p. 196). En 2016, un pas a été franchi : « c’est compliqué » n’est plus une litote mais un euphémisme : « elle est à terre, elle est battue, c’est compliqué ». On est passé d’une situation difficile à une situation désespérée : c’est foutu.

Dans la Rome antique, le peuple manifestait sa reconnaissance quand l’Empereur lui donnait du pain et des jeux. Dans le Brésil en fête, les Cariocas demandent du pain et du pain.

lundi 8 août 2016

Médias


Les médias aiment programmer des émissions sur les médias. Cette mise en abyme Vache-qui-rit arrête son vertige à la complaisance du reflet flatteur dans le miroir.

Si vous êtes pris en otage, mieux vaut pour vous être journaliste : on parlera de vous dans les médias, tous les jours, jusqu’à votre libération.

Depuis que les problèmes sont devenus des problématiques, c’est-à-dire depuis qu’on a renoncé à trouver de vraies solutions à de vrais problèmes, et depuis que les questions ont cédé la place à des questionnements, les journalistes (mais pas seulement) ont oublié la syntaxe correcte des questions. Au style direct : « Est-ce que la France a-t-elle de bonnes chances de médailles ? » Au style indirect : « On peut se demander comment les Américains vont-ils s’y prendre ? » (entendu à la radio). Un seul élément interrogatif ne suffit plus, quand on a perdu le sens de ce qui fait problème ou question. Ou encore : la problématique ou le questionnement demande qu’on en rajoute.

Par ces temps difficiles, on aimerait bien qu’un média invente le journalisme de la veille : au lieu de courir après les catastrophes et d’arriver trop tard, les journalistes les annonceraient 24 heures à l’avance, et pourraient ainsi diminuer sensiblement le nombre de victimes.