samedi 27 mars 2021

La preuve par la traduction

Marieke Lucas Rijneveld a cru qu’il suffisait de se dire « personne non binaire » utilisant le pronom « iel », ni il ni elle et les deux, pour se légitimer comme traductrice du poème The Hill We Climb, lu au Capitole par Amamda Gorman le jour de l’investiture de Joe Biden. Son éditeur néerlandais Meulenhoff ne l’a pas retenue quand elle a décidé de se retirer après un article d’une journaliste noire, dénonçant le « profil inadéquat » d’une femme blanche, appartenant à la race dominante, qui aurait donné une traduction « trop belle et trop propre », marquée par « le surplomb de la pensée blanche ». Selon Janice Deul, l’effet du poème serait « plus puissant » dans une traduction confiée à « un artiste de la création parlée, jeune, femme et […] noire ».

Outre la couleur de peau, Marieke Lucas Rijneveld a le tort d’être poétesse et romancière alors qu’Amanda Gorman slame ses vers. La blanche est par ailleurs trop vieille, à 29 ans, pour traduire une jeune poétesse de 22 ans.

L’éditeur Fayard, plus malin, avait fait savoir que la traduction en français avait été confiée à la chanteuse belgo-congolaise de 24 ans, Marie-Pierra Kakoma, auteur compositrice interprète, rappeuse et mannequin (Wikipédia) qui se produit sous le nom anglais de Lous and the Yazuka.

« Son mot à dire » a voulu en avoir le cœur net en confiant le poème officiel à quatre traducteurs-trices, en faisant varier les critères : une noire binaire slameuse, un noir hétéro qui tient la plume, une slameuse lesbienne blanche, un mâle blanc hétéro moyen qui n’a jamais rien écrit.

Dès le titre, The Hill We Climb, la différence saute aux yeux :
1. La colline que nous escaladons
2. La colline où nous montons
3. La motte de terre on la gravit
4. Ce petit renflement géologique, on en viendra à bout.

La preuve est faite, s’il en était besoin, que la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’âge et le mode d’expression, oral ou écrit, font la différence.

dimanche 7 mars 2021

Époque épique

Là, c’est vraiment la guerre. Les armées s’y mettent, les hôpitaux militaires sont opérationnels sur le terrain. L’infirmière en chef et en képi énumère les atouts : ordre, discipline, interventions en urgence, service de la patrie. Elle pourrait ajouter : frappes chirurgicales dans la cible sans dégâts collatéraux ni effets secondaires.

Qui a dit que les Français n’avaient pas la tête épique ? Tous les jours les médias écrivent un nouvel épisode de l’épopée vaccinale, avec les bons et les méchants (ceux qui refusent le vaccin, qui ne respectent pas le confinement, qui font la fête dans des caves), le dénombrement des vaccinés, comme Homère énumère les bateaux et les armées en présence, les héros et les victimes, l’avancée sur le territoire. Après L’Illiade, la Vaccinade, jusqu’à la victoire finale.

Les journalistes n’ont jamais été aussi pro-gouvernementaux : la personne invitée émet-elle un doute ou une critique qu’aussitôt l’interviewer lui coupe la parole pour rappeler les mesures du gouvernement, les annonces du gouvernement, les décisions du gouvernement, la difficulté qu’il y a à gouverner et qu’est-ce que vous feriez à sa place ? L’urgence de la situation semble imposer une union sacrée dont les journalistes se font les gardiens, promus en remparts contre toute contestation suspectée de mettre en péril le cordon sanitaire.

mercredi 3 mars 2021

C’est compliqué

C’est compliqué. Dans le monde d’avant, cette expression désignait un choix de situation amoureuse, en concurrence avec célibataire, en couple, marié.e ou en attente d’un miracle. Aujourd’hui, elle accompagne obligatoirement l’évocation de la situation sanitaire et des mesures à prendre : c’est compliqué.

Tout le monde porte un masque, sauf les Cyrano au nez trop long, les Karl Marx à barbe si fournie que le masque ne cache rien, les complotistes à qui on ne la fait pas, ceux qui n’ont peur de rien, celles qui ne sauraient cacher ce qu’elles veulent montrer, les trop pauvres pour s’acheter un masque, Olivier V* et Jérôme S* qui ont dit que le masque ne servait à rien, ceux qui fument ou qui vapotent, ceux qui postillonnent dans leur portable, c’est-à-dire tout le monde.