jeudi 28 juillet 2016

Saint-Étienne-du-Rouvray


Que la chose se passe dans un lieu proche ajoute à l’impensable. Ça pouvait arriver à Notre-Dame de Paris, mais pas à côté de chez moi.

Profil psychologique du tueur : les détraqués trouvent dans les discours de haine collective une forme de raison à leur folie. Mais ces fous d’Allah ne sont pas tous fous, ce qui est encore plus inquiétant.

Barbarie : elle gagne (s’étend et triomphe) en nous quand nous nous surprenons à être satisfaits que les égorgeurs aient été abattus par la police, au lieu d’être capturés vivants et de coûter cher à la société en justice et prison. Mais on se ravise en apprenant qu’ils avaient choisi cette mort en se précipitant sur la police avec leur couteau, selon les recommandations  de leurs inspirateurs, pour être reconnus comme martyrs.

Ils égorgent à l’arme blanche au lieu de tuer par balle pour faire comprendre aux victimes qu’elles ne valent pas plus que du bétail. Il nous arrive de nous conduire comme des veaux (« les Français sont des veaux »), des moutons (de Panurge), des cochons. Mais ce n’est pas aux bourreaux d’en décider.

Sur un panneau du Patrimoine, devant une petite église de campagne : « Mayrinhac-le-Francal était alors une cité importante. Dévastée durant les conflits de la Guerre de Cent Ans, repeuplée au XVe siècle, elle subit, comme toute la région, les massacres et les destructions des Guerres de Religions. » Au XXIIe siècle, on pourra lire les mêmes lignes concernant la France : les Guerres de Religions, commencées en 2001, ont duré Cent Ans.

Qu’un vieux prêtre de 86 ans fragile comme un oiseau soit égorgé dans la petite église d’une banlieue ouvrière où il disait la messe matinale pour trois paroissiens inciterait les laïques à se convertir à la religion catholique, vite.

Depardon, Les Habitants


Raymond Depardon filme en photographe. Il cadre la caravane à l’arrêt, bien calée sur ses béquilles, au milieu de l’image. Ça bouge un peu autour, ça bouge derrière la grande vitre rectangulaire qui ouvre sur le mouvement de la ville, comme un décor mobile,en arrière-fond des deux personnes assises de part et d’autre de la table de la caravane. Plan fixe de la caméra. Quelque chose arrive uniquement par le discours.

Entre les séquences de conversation, la caravane roule, filmée par une voiture suiveuse : elle traverse la campagne, des petits villages, comme des transitions, à la fois coupures et liaisons entre deux scènes. Le ruban de la route assure la continuité et la différence entre les accents du Nord au Sud, les types humains.

Dans les paroles, dominent le vide, la solitude, l’abandon, le sentiment de l’inutilité. Mais tous veulent exister. Ils ont encore « la force de vouloir », comme dit le poète.

C’est ça, la France ? Depardon ne prétend pas donner une image fidèle, avec un « panel » de citoyens représentatifs, comme dans les sondages. Plutôt qu’un sondage, c’est une série de coups de sondes dans le quotidien.

Le choix de deux personnes au lieu d’une place au centre la relation (homme / femme, parent / enfant, copains et copines). Ce n’est pas un film-confession, mais un film-conversation, avec une intimité forte, mais telle qu’elle peut se dire à un proche. La parole est interne au dispositif du film. Celui qui filme est absenté, et le spectateur, par la largeur du cadre, est aussi peu que possible un voyeur : il ne regarde pas par le trou de la serrure. Il est comme au théâtre : le quatrième côté de la caravane a été enlevé.

lundi 18 juillet 2016

Paris - Nice


Travail de deuil, cellule psychologique, résilience, secouristes socio-psy : derrière ce discours compassionnel, on entend la précipitation d’une société soucieuse de remettre les victimes en état de marche pour qu’ils retournent au plus vite à l’industrie touristique : la saison ne fait que commencer.

Cette fois, pas de terroriste lourdement armé (les 15 tonnes du camion font office), mais un terrible attentat minutieusement préparé et toujours d’innocentes victimes. Faute de pouvoir apaiser les inquiétudes par des faits, on rassure par les mots attendus.

Les humoristes, les ironistes, les blogueurs blagueurs calent devant l’horreur : impossible de prendre de la distance. Est-ce que nous deviendrions graves ?

Au nombre des victimes virtuelles qui ne s’en remettront pas, il faut compter ceux qui auraient dû se trouver là et qui, au dernier moment, ont décidé de ne pas y aller.

Le discours sur les attentats évités ne peut convaincre que les non-victimes.

Parmi les victimes collatérales des attentats, les journalistes : le direct à flux tendu, tournant en boucle, met à nu leurs pauvres rouages médiatiques. La couverture médiatique laisse voir ses trous. Un tel parle du « chauffard » qui a foncé dans la foule ; une présentatrice météo tranche d’un « enfin une bonne nouvelle : il va faire beau » ; le directeur de la station, flairant les recettes à cette occasion de grande écoute, n’a pas jugé bon d’annuler « la page de publicité » euphorique sur le bonheur de consommer. Il aurait peut-être suffi que le terroriste terrorise le système médiatique et écrase (métaphoriquement) les spécialistes des chiens écrasés, en laissant la vie sauve à ceux qui n’ont pas demandé à être médiatisés.

« Être président, c’est être confronté à la mort, au drame », disait le président le 14 juillet, avant les feux d’artifice. Ce serait un sujet de Sciences Po : 1) thèse hégélienne : le maître s’affirme en face de la mort ; 2) antithèse pointant la dérive : le président se nourrit des morts, fonde sa légitimité sur la mort et le drame, attend la mort et le drame pour se présidentialiser ; 3) synthèse : et s’il était plus difficile d’être président dans la confrontation à la vie réelle, à la réalité vivante ?

dimanche 10 juillet 2016

Disparitions


Malheureux le Poète et le Politique qui disparaissent un jour de football et de Tour de France.

Trop de disparitions dans l’actualité. Il n’y aura pas de place pour tout le monde. Certains grands morts font de l’ombre aux plus petits. On dit que tous les hommes sont égaux devant la mort. C’est faux : on les hiérarchise autant que les vivants.

La gêne de devoir prononcer l’éloge funèbre de celui qui ne vous a pas ménagé de son vivant, jusque dans son testament, est largement compensée par le plaisir d’avoir le dernier mot.

Ce n’est pas le tout de mourir : encore faut-il ne pas se tromper sur ceux qui revendiqueront l’héritage.

Du poète, il ne lui venait à l’esprit que des anecdotes personnelles si prosaïques qu’elles détruisaient la rime et le rythme.

Il pensait si vite que les mots ne suivaient pas ; il en mangeait la moitié. Mais les électeurs n’aiment pas les politiques qui pensent. Ils préfèrent les bêtes de scène ou de cirque, ceux qui s’accrochent, ceux qui se relèvent, ceux qui ne sont jamais morts, les arracheurs de dents qui mentent et qui font saigner.

À la fin de ses « Radioscopies », Jacques Chancel posait toujours la question qui tue : « Et votre mort, vous y pensez ? » Comme ça, c’était fait, par anticipation. Le moment venu, les chacals de l’info pouvaient sortir du frigo un bout d’auto-nécrologie.