lundi 11 juillet 2022

Le narratif poutinien, 81. Céline, Guerre (pages inédites, suite 1)

Je l’avais dit, au dernier feuilleton, que je raconterais ce que j’ai vu, tout ce que j’ai vu, même si c’est pas des choses à dire. La putain de guerre, on a pas les mots pour décrire, mais le pire, c’est ce que ça fait remonter du fond de l’homme, tous les remugles des tripes qu’on imagine pas, les dessous du cœur et les égouts de l’âme, enfin tout ce qu’on arrive à cacher en temps de paix, quand on a pas l’occasion de montrer ce qu’on est vraiment.

On en était resté aux petits soldats russes qui descendent des camions zébrés avec un Z sans savoir où ils sont. Ils sont passés avant entre les mains des capos qui les bizutent à mort pour leur endurcir le tempérament, qu’ils disent, et à mort ça veut dire des fois à mort pour de bon, jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour voir s’ils sont des hommes. Alors ceux qui en sortent, ils sont fin prêts à torturer à leur tour pour rien, par vengeance de ce qu’on leur a fait subir, et parce qu’ils ne savent faire que ça, cogner, ce qu’on leur a appris sur leur dos, et qu’ils retournent sur les autres.

Ils arrivent sans rien qu’un barda tout maigre, alors ils se paient sur l’habitant, tout ce qu’ils trouvent, même du linge sale à côté des machines à laver, les brosses à dents qui ont déjà servi, dans les maisons éventrées. Faut pas humilier les Russes, que Ferdinand a entendu d’un président, c’est sûr, ils savent le faire tout seuls, s’humilier. Mais peut-être qu’ils savent plus ce que les mots veulent signifier, même humilier, ils savent plus, à force de creuser toujours plus bas que terre, là où fouillent les taupes et les groins des cochons.



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