jeudi 25 février 2016

Un peu de littérature


Paradigmes. Les modèles de la littérature ont été, par ordre chronologique, la peinture (ut pictura poesis), la rhétorique, la zoologie (Balzac), la biologie (Zola), la linguistique (structurale), et aujourd’hui, l’économie ? Lire l’essai de Bernard Maris sur Houellebecq économiste.


La fiction a perdu de sa force. Aujourd’hui, pour s’imposer en écrivant, il faut donner du vécu, du saignant, payer de sa personne. Signe des temps : D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, classé roman, faisant passer en titre une mention du « paratexte ». Le film Intouchables aurait-il eu le même succès s’il n’avait pas été soutenu par l’antériorité d’un fait biographique, les « acteurs » réels apparaissant d’ailleurs au générique de fin ? Désormais, un film, un livre doivent s’accompagner d’un bandeau ou d’une bande annonce : « inspiré de faits réels » (par exemple le film Le Revenant ). Autrefois, on se protégeait en écrivant : « Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite ».


Que deviendrait le succès d’Édouard Louis si l’on apprenait qu’il invente au lieu de raconter ses origines dans En finir avec Eddie Belleguelle ou un sordide fait divers dans Histoire de la violence, au titre pourtant aussi général et abstrait que l’Histoire de la sexualité de Foucault ? Ces deux livres portent bien l’étiquette « roman » sur la couverture, en contradiction avec le discours de l’auteur. Si je me souviens bien, des journalistes mal intentionnés s’étaient rendus dans son village natal pour s’entendre dire, de la part des proches scandalisés, que ce n’était pas si pire. Cette chasse à l’homme derrière l’écrivain a connu un moment particulièrement douloureux et malsain, quand Bernard Pivot, un certain vendredi soir, a poussé Madeleine Chapsal jusqu’aux larmes en l’obligeant à reconnaître que son personnage de vieille femme martyrisée par un jeune amant, c’était bien elle.


On a perdu le goût de la fiction, d’une certaine gratuité, de la force affirmative de l’imagination.


L’auteure Misha Defonseca a été condamnée à rembourser 22,5 millions de dollars à son éditeur pour avoir imaginé l’histoire d’une petite fille juive sauvée pendant la guerre par des loups (Survivre avec des loups). Bon, elle a fait passer son roman pour une autobiographie, cédant à la dictature de l’histoire vraie. Il y a eu tromperie sur la marchandise, mais simplement pour les lecteurs qui croient aux histoires vraies. D’ailleurs, ont-ils demandé à être remboursés de leur achat ? à recevoir un dédommagement pour préjudice moral ? En relisant l’ouvrage après le procès, ils ont déplacé l’intérêt qu’ils ont pris à l’histoire vers le récit. Non pas : quelle vie ! mais : quelle imagination !


Voyez cette auteure d’autofiction qui se place volontairement dans des situations tordues pour trouver de quoi écrire.

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