mercredi 10 octobre 2018

Rebut


Les gens sont sales. Pas sur eux, ils sont plutôt propres sur eux, mais par terre, dans la nature, sur les trottoirs, sur les mers, partout. Les déchets sont devenus un tel problème planétaire qu’on a inscrit au calendrier une journée du déchet, le World Clean Up Day, et que les joggeurs sont encouragés à courir avec un sac et des pincettes pour ramasser tout ce qui traîne. Cela s’appelle le plogging.

Mais d’où vient cette incivilité généralisée ? On pourrait avancer plusieurs raisons.
1) Je paie des impôts pour les balayeurs (entendu d’une dame qui vidait son cendrier de voiture dans un caniveau).
2) Je marque mon territoire comme un chien qui pisse, comme un tagueur son mur.
3) La vie va si vite, je laisse une trace.
4) Je suis moi-même un déchet, on me traite comme une merde sociale. C’est ma signature.
5) Une canette de Coca, reste tranquille. C’est les gros qui polluent, moi à côté, petit joueur.
6) Le monde est trop rangé, lissé, aseptisé, policé. Je jette un papier comme les anarchistes posaient une bombe.
7) Punir la planète en la salissant.

Je me souviens que Michel Tournier a écrit un roman dans lequel le déchet tient une place importante, Les Météores (Gallimard, 1975). C’est à lui que je dois d’avoir appris le mot rudologie, facile à retenir.



Avis aux utilisateurs des wcs.
Devant le manque de civisme de certains nous vous rappelons qu’il y a une brosse pour nettoyer vos œuvres, chacun prend ses responsables [sic].
Nous ne sommes pas là pour contempler votre art.
Merci de votre compréhension.

Souvenir d’école. La journée commençait par une phrase de morale, calligraphiée au tableau noir. Pour l’illustrer, le maître lisait une histoire édifiante. Un garçon mal élevé se promène dans une ville allemande ou hollandaise, très propre. Il vient de France ou pire de plus bas ; il est donc sale. Il jette un papier sur un trottoir immaculé (on en profite pour expliquer le mot « immaculé »). Et là, brusquement, il sent que la ville fixe sur lui tous les yeux réprobateurs de ses mille fenêtres. Dénoncé par ces témoins muets, il fait demi-tour, ramasse le papier et le dépose dans la première poubelle venue. Retour au calme de sa conscience, à l’ordre du monde. Les yeux de la ville se referment. Je m’en souviens encore, de ces fenêtres accusatrices, soixante ans plus tard.

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