dimanche 21 octobre 2018

Brouillons présidentiels


Depuis quelques décennies, la mode est aux brouillons d’écrivains. On les sort des réserves, on les expose, on les numérise sur Internet, on les transcrit, on les interroge. Le lecteur entre ainsi dans le laboratoire de l’écrivain ; il le surprend raturant, arrivant à la bonne forme après beaucoup de tâtonnements. Le génie y perd en sacralité de poète inspiré ; il y gagne en humanité.

Le président-écrivain Macron inaugure l’exposition des brouillons d’un discours politique, pendant le temps même du discours. Ils sont là, mis en scène par un cadrage un peu large. On ne peut pas lire à l’envers sur les feuilles, mais on voit nettement que les papiers sont balafrés de traits et de mots au gros feutre, un peu trop gros, presque un marqueur. Ni ratures d’écriture ni ratures de relecture, comme disent les spécialistes, mais des ratures d’apparat. Quand l’orateur passe à la page suivante, il ne retourne pas celle qu’il vient de lire, mais il la fait glisser sur une autre pile, pour que le recto raturé continue à s’afficher.


En même temps, il concilie la modernité de l’ordinateur et la tradition de la main, le savoir-faire technique et l’artisanat de l’écriture. Seulement imprimé, le texte aurait paru mécanique, impersonnel, possiblement écrit par un autre. Entièrement rédigé à la main, il tirait le président vers les temps révolus de la plume et du papier.

Le dispositif du brouillon a plusieurs fonctions :
— Rattacher le nouveau président à la lignée de ses prédécesseurs qui ont écrit : De Gaulle, Pompidou, Mitterrand ;
— Montrer les traces du travail ;
— Rapprocher le président du Français de base : il est comme nous, il hésite, il n’y arrive pas du premier coup. On comprend la raison de cette mise en scène : modifier l’image de l’homme trop sûr de lui. Le brouillon est un gage d’humilité. Le président fait des fautes, mais il sait les reconnaître. Le gros trait fait au marqueur dit plusieurs choses : je pratique l’autocritique, je sais me corriger, et quand je me corrige, vous avez vu avec quelle énergie du trait. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’il dit, explicitement : « J’entends les critiques. »

Puisque les feuilles portent d’ostensibles traces manuscrites, il faut que l’orateur baisse la tête de temps en temps. Il n’est pas censé connaître son discours par cœur. Au lieu de fixer le prompteur au fond des yeux, il regarde ce qu’il a écrit. Comme nous, il a besoin d’un support. Le discours ne sort pas tout armé de sa tête, comme Minerve de la tête de Jupiter.


Jupiter ne fait pas de brouillons. Emmanuel Macron si, et ça se voit. Les chercheurs en génétique littéraire demandent que les brouillons du chef de l’État soient versés aux Archives nationales, pour qu’ils puissent les étudier.

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