vendredi 12 août 2022

Le narratif poutinien, 94. Céline, Guerre (pages inédites, suite 3)

Sur le front, qu’est partout et nulle part, y a du nouveau, et pire qu’avant. C’est encore Ferdinand qui peut raconter. Quand les galonnés et chamarrés de tous les crachats dorés de la Grande Russie ont vu que les jeunes recrues se faisaient tirer comme des lapins russes, et que les appelés répondaient pas, pas plus cons que les autres ils avaient quand même fini par comprendre où on les envoyait, alors ils ont eu une idée, la seule peut-être de leur vie à obéir, qu’ils ont proposée comme ça au chef suprême : aller les chercher en prison.

T’as tué ton père et ta mère et t’en as pris pour trente ans, eh bien tant mieux, tu vas pouvoir tuer autant que tu veux, et on ira rien te demander. Chaque petit frère ukrainien que tu ramèneras par les pieds, ça comptera pour un an de remise de peine. Et l’autre, tu as violé ta sœur et ta fille, on a besoin de gars bien emmanchés comme toi, tu vas pouvoir jouir à mort.

Ils refusaient pas, les gars, plutôt que de pourrir en prison, ils n’avaient rien à perdre, même pas la vie.

Au début, les gradés avaient pas voulu leur donner des armes à feu, ils se méfiaient d’eux, les criminels aux bas instincts, des fois qu’ils auraient descendu leurs chefs. Seulement des couteaux qu’ils avaient, mais avec ça, ils cartonnaient quand même et revenaient avec un butin de paysans égorgés et de filles éventrées. Alors, on les a fournis en gros calibre.

C’est les plus féroces, foi de Ferdinand. Sur un petit carnet, ils mettent un bâton à chaque dépouille, en soustraction des années de prison qui leur restent.

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