samedi 26 octobre 2019

Lubrizol, III. La fabrique des héros


Les pompiers sont des héros. On le sait depuis que 343 sont morts à New York le 11 septembre 2001. Ceux qui se trouvaient sur le site de Lubrizol le 26 septembre 2019 n’ont pas péri dans l’incendie. Ils n’en sont pas moins valeureux. Leur colonel a cru les flatter en poussant un coup de clairon sur les murs de la caserne : « Je suis fier de vous ». Mais au lieu de remercier, les ingrats soldats du feu sont en colère : on les a envoyés au casse-pipe éteindre un incendie chimique sans eau, sans mousse et sans protection. Une bouche en travaux était sans eau, une autre en sous-pression. Et la zone riche en usines Seveso ne dispose pas d’un engin à fabriquer de la mousse. Il a fallu attendre plusieurs heures. Pas plus de masques à gaz dans les camions. Un vrai héros attaque un feu chimique à mains nus. Ils ont compris comment on fabrique un héros, si possible mort. C’est pareil dans toutes les guerres, du feu comme les autres : un gradé envoie les soldats au front, ils en ressortent morts ou estropiés, un officiel fait des discours à contraintes en plaçant les mots valeur, sacrifice, patrie, pour calmer la douleur des familles et encourager les camarades à suivre l’exemple. Si les victimes refusent d’être des héros, qui éteindra désormais les feux sans eau ni mousse ni masque ?

Les analyses d’air, d’eau, de sang ne sont pas bonnes. Mais on ne sait pas si elles sont pires qu’avant, parce qu’on ne dispose pas de résultats antérieurs pour comparer. Si bien que l’événement n’a pas d’effets mesurables. Il ne serait même pas exagéré de dire qu’il n’a pas eu lieu. Juste un écran de fumée.

Malgré les consignes de sécurité, les exercices grandeur nature, rien ne s’est passé comme prévu. On se demande même s’il ne serait pas plus sage de ne rien prévoir, pour être préparé à l’imprévisible.

Le vrai héros, on le tient, c’est une héroïne, Irène Frachon, la lanceuse d’alerte dans l’affaire du Mediator commercialisé par les Laboratoires Servier. On reconnaît les vrais héros à cela qu’ils refusent l’héroïsation, toujours suspecte : « je ne faisais que mon travail. » C’est leur titre de gloire, ce que n’importe qui devrait pouvoir dire.

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