samedi 1 décembre 2018

Gilets jaunes


Le carburant — c’est la goutte d’eau.

Les palettes qui brûlent, les pneus qui dégagent des fumées toxiques, le goudron qui fond, et tout ça à cause d’une taxe censée réduire la pollution.

Le rond-point pour remplacer le carrefour, c’est l’idée de génie des experts de l’aménagement du territoire : plus de quatre routes peuvent s’y rencontrer, les voitures ralentissent, la circulation est fluide. Pour toutes ces raisons, c’est aussi beaucoup plus facile à bloquer.

Les gouvernants attendent que les organisateurs de la manifestation déposent une demande d’autorisation pour emprunter un itinéraire balisé ; ils cherchent des représentants pour dialoguer. Cours toujours, le vieux monde est en toi.

Du Quartier Latin aux Champs-Élysées : on est passé des lieux de savoir aux lieux de pouvoir, des étudiants au peuple. Les slogans sont moins inventifs, mais le peuple produit quand même quelques belles figures.

Le signe d’un pouvoir aux abois, c’est que sa rhétorique apprise est en panne : il n’ose plus parler de « grogne », il a ravalé son « empathie pour ceux qui souffrent », et même il renonce à prendre le peuple pour un enfant devant son maître : il a mal compris, on va mieux lui expliquer.

Le but du libéralisme est d’atomiser le peuple en cassant les vieilles solidarités : mais quand les atomes s’agrègent à nouveau dans un bloc en fusion, il est le premier à faire semblant de regretter qu’aucune organisation ne puisse fournir un interlocuteur.

Fin du monde, fin du mois. Ajoutons-y la fin du moi : on cherche un « gilet jaune » qui veuille parler à la première personne sans être immédiatement désavoué.

Quand un micro se tend, il capte parfois des récits de vraie vie. Images simples, directes, phrases ramassées, denses d’être ressassées : cette grand-mère qui ne sait pas si elle pourra offrir un cadeau de Noël à ses petits-enfants. Honneur à l’émission de France-Culture « Les pieds sur terre » de Sonia Kronlund, le 21 novembre 2018.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/la-manif-des-gilets-jaunes

On pense à cette phrase de Dumarsais : « Je suis persuadé qu’il se fait plus de figures en un seul jour de marché à la halle, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques » (Traité des tropes, 1730). Des linguistes sont-ils au travail sur les barricades ? Au hasard d’un reportage à la télé, cette antithèse : « On ne peut pas à la fois se serrer la ceinture et baisser son froc. » Mais c’est déjà peut-être trop élaboré pour être populaire.

Les dirigeants produisent des images pour être battus. À la première occasion, elles sont retournées et renvoyées en boomerang : « On va faire dévisser les premiers de cordée » ; « Je suis un Gaulois réfractaire ».

Déplacement du discours : signe et conséquence des révolutions.

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