mercredi 6 mai 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (42)


Pourquoi le mot « distanciation » dans le discours d’aujourd’hui, à la faveur des gestes barrières, au lieu du mot « distance » ? C’est contraire à la pente de la langue vers le moindre effort : cinématographe > cinéma > ciné. « Distance » en deux syllabes, c’est pourtant plus économique que « distanciation », en quatre.

La raison serait-elle que « distanciation » contient l’action ? Alors que « distance » mesure l’espace, « distanciation » creuse l’écart, en acte.

Et voilà qu’Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, invite à passer du propre au figuré : l’écart dans l’espace glisse vers le sens moral, prendre ses distances, garder ses distances (au pluriel) pour empêcher quelqu’un d’approcher. La distanciation sociale est à comprendre comme geste de classe : tenir l’inférieur à distance respectueuse. Et aussi, politiquement, comme refus de l’autre, de l’étranger : repousser ce qui est différent.

Brecht peut-il être utile, avec sa notion de distanciation dans son théâtre épique ? L’acteur doit se tenir à distance de son personnage pour le montrer au lieu de jouer en s’identifiant au rôle, et pour éveiller l’esprit critique du spectateur. Puisse la distanciation sociale, sur le théâtre du monde d’après, nous appeler à la même vigilance, devant le spectacle d’une société qui met à distance et dresse des barrières.

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