dimanche 21 mai 2023

Le narratif poutinien, 139. La bonne image

Le tsar Vladimir premier aime feuilleter son album de photos, quand il n’est pas dans sa piscine, sa salle de musculation, ou en train de planter des punaises dans la carte d’état-major de la Grande Russie.

Le 19 mars 2013, il s’est rendu dans la bonne ville de Marioupol, à demi détruite par ses anciens occupants, et tout entière libérée par les forces de l’armée russe. Il est entré dans une maison simple, il a posé avec naturel dans la cuisine, devant un frigo. On distingue sur la table deux œufs dans des coquetiers et un rouleau de sopalin. Ce n’est pas plus grand qu’une cellule de prison. Le tsar Vladimir est pensif.


Une autre photo que le tsar aime bien, c’est celle où il pose à côté de Ravil Maganov, directeur de la compagnie pétrolière Lukoil. Il avait commis un lapsus en qualifiant de guerre l’opération spéciale, et peu de temps après il était mort, d’une longue maladie selon les uns, en tombant de sa chambre d’hôpital selon les autres, l’un n’empêchant pas l’autre. Pourtant, sur la photo, il avait pris la précaution de rentrer la tête dans les épaules, pour paraître moins grand que le tsar.


Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique, dépasse un peu le tsar, sur la photo de leur rencontre le 19 juillet 2022, mais c’est à cause du turban noir qui rehausse sa tête. Il est toujours en vie.


 

dimanche 7 mai 2023

Un Joyaux, alias Sollers

Philippe Sollers est mort. On le croyait immortel, même si on ne trouvait pas son nom parmi les 40 académiciens. On ne lui donnait pas d’âge : il avait conservé l’impétuosité d’un jeune auteur resté sur le Seuil, malgré son transfert chez Gallimard. Sa mort nous rappelle opportunément qu’il était encore vivant, quoiqu’on ne l’entendît plus dans les médias, soit qu’il les boudât, soit qu’ils ne l’invitassent plus, ou les deux.

Son historien, biographe et hagiographe, Philippe aussi mais Forest, lui consacre un article nécrologique dans Le Monde du 6 mai 2023. En général, on dit du bien des morts. Philippe Forest en disait déjà beaucoup de son vivant.

On apprend ainsi que le latin « sollers » signifie « tout entier art ». Le Gaffiot donne plutôt « habile, adroit ».

On lit aussi : « Alors que se met en place la contemporaine “société du spectacle” qu’il dénonce pour la nouvelle forme de tyrannie dont elle est solidaire, Sollers apparaît comme l’un des rares authentiques écrivains dont la notoriété dépasse le cercle de plus en plus restreint des amateurs de vraie littérature. Il intervient à la télévision ou dans la presse. » Comment résister aux sollicitations de la télé pour aller y dénoncer la société du spectacle ?

Son biographe dit encore : « Jusqu’au bout, Sollers n’a jamais cessé d’écrire. La liste est longue des romans qu’il a signés. Ils restent à lire. » Effectivement, c’est ce qui leur reste à faire.

« Il sera enterré dans une stricte intimité familiale à Ars-en-Ré (Charente-Maritime). Selon sa volonté, une messe catholique sera célébrée. » La messe sera dite, comme pour ces vieux libertins qui se confessent sur leur lit de mort pour gagner le Paradis.

C’est un homme qui, par sa longévité, aurait mérité l’Académie française, et la publication, de son vivant, de ses Œuvres complètes dans le Panthéon des Lettres, la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, en dix volumes sur papier bible regroupant ses quatre-vingts livres, par ordre chronologique, édition établie, annotée et préfacée par Philippe Forest.