mardi 31 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (11)


Une amie m’écrit : « Je ne pensais pas connaître cette situation de mon vivant. » Attends un peu.

J’ai mis un masque dans mon appartement, pour éviter l’autocontamination.

Pour une fois qu’on pensait avoir du temps à soi, et enfin se mettre à écrire le roman qu’on rumine depuis l’adolescence, mais non, la famille, les amis, les voisins vous téléphonent tous les jours pour prendre de vos nouvelles, comme s’il pouvait y avoir du nouveau. Quand est-ce qu’on sera vraiment tranquille ?

Depuis un mois, on entend ce refrain : les masques arrivent ! les masques arrivent ! les mascarive. — Mascarade !

Désormais, tous nos messages se terminent par une phrase de circonstance : « Prenez soin de vous. » Adressée à Sophie Calle, c’était à la fin d’un mail de rupture.

Mais non, c’était une vaste blague, à l’échelle planétaire. Poisson d’avril ! Vous pouvez tous sortir.

lundi 30 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (10)


Quand quelqu’un dira c’était mieux avant, ce ne sera pas la peine de demander avant quoi.

On se lève et on ne peut même plus se casser.

Il a attrapé le coronavirus en faisant la queue pendant deux heures pour se faire dépister.

On ne nous y reprendra plus à nous embarquer à deux mille sur un paquebot de luxe avec orchestre pour une croisière de rêve dans les mers du Sud.

Le clochard de la gare pue si fort qu’il porte à largement plus d'un mètre la distanciation sociale autour de lui.

Le juge de l’application des peines délivrera un permis de sortie de prison sanitaire à ceux qui ne présentent pas de risque de récidive.

L’Ina ouvre ses archives gratuitement, la Comédie-Française met gratuitement en ligne ses spectacles, les Musées organisent des visites virtuelles de leurs expositions, tout est open free, on n’aura jamais assez de six mois de confinement pour tout faire.

Journal insignifiant d’un con, finement (9)


Si même les prisonniers ne supportent plus la réclusion, qu’est-ce qu’on dira de tous ceux qui sont assignés à résidence sans avoir rien fait ?

Il suffisait de supprimer les parloirs sexuels.

Que le virus franchisse si facilement les hauts murs sécurisés confirme à quel point les prisons sont des passoires.

Les gardiens ont pris la même décision que les soignants des Ehpad : s’enfermer derrière les murs avec les gens qui sont dedans.

C’est à coups de poings dans la gueule de mes trois codétenus que j’ai dû imposer la distance sociale dans notre cellule de 11 m2.

Avec mon fils, on barre les jours sur un grand calendrier en carton donné par la banque, comme les soldats et les prisonniers. Mais eux au moins ils décomptent les jours parce qu’ils savent exactement combien il en reste.

dimanche 29 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (8)


Mon fils regrette de ne pas avoir monté sa petite entreprise de fabrication de masques. Il aurait fait fortune. Il avait des idées de masques fantaisies, avec des motifs rigolos et des inscriptions désopilantes.

« C’est par les masques en tissu qu’on reconstituera le tissu industriel du pays » (un expert en économie).

Il était temps que les femmes se remettent à coudre.

J’ai pris un bout de tissu, un vieil élastique. Le résultat est encourageant.

La Chine envoie des millions de masques pour protéger contre le coronavirus qui vient de Chine. Je m’interroge.

L’ennemi s’avance masqué. C’est justement ce qui nous manque.

Les Gilets jaunes qui ont stocké des masques contre les gaz lacrymogènes sont priés de les remettre aux forces de l’ordre.

« Masques et bergamasques ». Justement, l’épicentre italien est à Bergame. Verlaine est suspect.

vendredi 27 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (7)


Michel Hidalgo est mort de mort naturelle. Nous voilà rassurés.

Supposons que Trump soit positif, d’accord, on ne peut quand même pas souhaiter ça à son pire ennemi, mais honnêtement, est-ce qu’on serait sincères si on disait qu’on est désolés ?

Peut-on foutre la paix à Blaise Pascal, qui ne pensait pas du tout à nous quand il écrivait, en bon chrétien : « Tout le malheur du monde, etc. » ?

Le pire n’est pas que Leïla Slimani, prix Goncourt, soit une bourge planquée à la campagne dans une résidence secondaire à colombages (elle nous envoie une carte postale), mais qu’elle écrive : « L’herbe verglacée, les tilleuls sur les branches desquels apparaissent les premiers bourgeons. ». En même temps, ça peut faire une dictée pour mon petit-fils de CM2.

jeudi 26 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (6)


Ce n’est pas parce que la situation est grave qu’il faut demander aux riches un effort de guerre. Attendons qu’ils fassent un geste spectaculaire de charité, comme Roger Federer.

LVMH vient de me rassurer : comme tous ses actionnaires, je recevrai ma part de dividende, inchangée.

« La direction de l’Insee prend des gants pour donner des chiffres concernant la consommation » (radio).

Le plan de soutien à l’économie prévoit qu’après la sortie de crise les pauvres seront encore plus pauvres et que les riches le resteront.

J’ai placé mes économies dans un paradis fiscal, mais je n’avais pas pensé réserver une place dans un paradis médical.

Parmi les mesures fortes de soutien aux soignants, certains hôpitaux mettent gratuitement à disposition de leur personnel le magazine Elle pour les femmes et L’Équipe, plutôt pour les hommes.

mercredi 25 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (5)


Imagine-t-on le général De Gaulle portant un masque ?

Le directeur général de la santé remercie les personnels soignants pour « leur dévotion exceptionnelle ». On se disait bien que ce n’était pas un métier, mais un sacerdoce.

Ça tombe bien pour l’aîné de mes petits-fils, en première, qui étudie les figures de rhétorique. Tiens, tu vois, la métaphore filée : nous sommes en guerre, ennemi invisible, sur le front, en première ligne, forces vives, héros, mobilisation générale, chair à canon, etc. Pour l’anaphore, on avait déjà « Moi, Président ».

Sans la rhétorique, on serait obligé de regarder la réalité en face.

Et pour le plus jeune, le cours de géographie gratuit donné par le Président, qui a tenu à venir « à Mulhouse, en Alsace, dans le Grand Est ».

Au fond, c’est bien une guerre classique : les petits soldats sont sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques.

Journal insignifiant d’un con, finement (4)


Uderzo est mort avant d’avoir pu baptiser Coronavirus un centurion romain.

Manu Dibango est mort du corona-virus. Du cancer, on aurait dit « une longue maladie », du sida, on n’aurait rien dit.

La famille fait savoir qu’il sera enterré dans « la plus stricte intimité ». Elle-même n’est pas admise.

Joël Le Scouarnec, le chirurgien pédophile de Jonzac, a proposé de venir aider les équipes médicales des services pédiatriques.

Jean-Jacques Goldman sort du silence. Ce qu’on préfère dans sa vidéo de soutien aux soldats, c’est le refrain qu’on lit sur ses lèvres, quand il articule « merci, merci beaucoup » en silence, justement.

mardi 24 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (3)


Le matin, je tire les rideaux : dehors existe.

Au réveil, j’avais un peu mal à la tête, je toussais un peu, j’ai peut-être un peu de fièvre. Je vais aller faire la queue devant l’hôpital pour me faire dépister.

Après l’épidémie, le gouvernement n’aura pas à reprendre la réforme des retraites.

Quand je pense qu’un milliard de confinés dans le monde écrivent leur journal de confinement, c’est terrifiant.

lundi 23 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (2)


Je pédale ferme sur mon vélo d’appartement devant la télé, au moment où on diffuse un reportage sur les coureurs qui ne peuvent plus s’entraîner en prévision du Tour. J’aurai une longueur d’avance.

« Nous sommes en guerre. » Soit, mais dans les rues on voit passer des objecteurs de conscience en trottinette.

Avec ses jeux vidéo, son bateau de pirate en lego et sa voiture téléguidée qui fait peur aux chats, mon grand fils retombe en enfance. La régression est sans doute la solution pour vivre son confinement sans devenir complètement fou.

J’ai pris la décision de lire À la recherche du temps perdu, et cette fois jusqu’au bout. J’ai commencé par la première phrase : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Contrairement à ce qu’on m’avait dit, elle est courte.

dimanche 22 mars 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (1)


Tous les matins, je regarde mon agenda, complet jusqu’à la fin du mois d’avril. Aujourd’hui, je lis : promenade en ville avec un groupe, départ à 15h, libre et gratuit.

J’écoute la météo. Il va faire beau aujourd’hui.

Je suis descendu relever le courrier, sans toucher la rampe d’escalier.

Mon appartement n’a jamais été aussi propre : je deviens un parfait homme d’intérieur.

Les deux chats d’appartement ne voient pas la différence avec leur vie d’avant.

Je fais très attention aux accidents domestiques : il ne s’agirait pas de déranger les urgences pour autre chose.

Il y a encore des habitants dans l’immeuble : j’entends couler leur chasse d’eau par le gros tuyau qui traverse les toilettes.

J’achète tout en double.

Je sors tous les soirs à 20 heures sur mon balcon, bien en vue, et j’applaudis, en espérant me voir en direct à la télévision.

samedi 21 mars 2020

Coronavirus : double discours


Ne pouvant faire que les masques de protection soient mis à disposition de tous, on répand l’idée qu’ils ne sont pas nécessaires.

« Il faut se serrer les coudes », dit un sous-ministre. Comment garder ses distances ?

« On n’est pas en vacances », dit un autre. Mais l’arrêt forcé sera partiellement compté comme jours de congés.

Restez chez vous, bande de sales gosses indisciplinés, mais allez travailler, tas de tire-au-flanc.

Et pendant ce temps-là, la pub continue, avec ses images de vie facile ; la page d’accueil « Orange » donne des nouvelles des « Célébrités » : les plus belles milliardaires féminines, les 4 sites de rencontre qui marchent vraiment, la vérité sur le programme minceur. Les annonceurs décalés n’ont-ils pas eu le temps de retirer leurs pages, ou bien viennent-ils de les mettre pour faire diversion, en attendant que les esprits retrouvent leur futilité d’avant ?

jeudi 19 mars 2020

Coronavirus : l’individuel et le collectif


Celui qui pose officiellement devant Le Rouge et le Noir et qui se prend pour un héros de Stendhal doit vivre pleinement ce temps romanesque. Ses discours s’allongent et se dramatisent. On le sent dans son élément, à la recherche d’une héroïsation. Hier, les héros étaient des victimes du terrorisme ; on applaudissait les flics après Charlie. Aujourd’hui, ce sont les personnels soignants, ces « héros ordinaires », ces « héros du quotidien », à qui on refusait moyens et reconnaissance il y a quelques mois.

Pour la première fois, le Président des premiers de cordée utilise l’expression « les travailleurs et les travailleuses ». Encore un effort, et on réinventera les ouvriers, voire les prolétaires.

« Rentrez chez vous ! » dit l’agent qui s’apprête à verbaliser un SDF, assis sur un trottoir où il ne passe personne.

Assouplissement du travail de nuit, dérogations, déréglementations, ouverture des magasins le dimanche et circulation des camions le week-end, marche forcée des soignants pourtant déjà épuisés, remplissage des hôpitaux au bord de l’explosion : la pandémie obtient ce qu’aucun gouvernement libéral n’avait encore réussi à imposer totalement.

Montesquieu trouverait de quoi illustrer sa théorie des climats : les habitants des pays chauds, gens extravertis parce qu’ils vivent dehors, sont les plus atteints, mais aussi les plus imaginatifs dans les manifestations symboliques de résistance et de solidarité. Dans la chaleur des soirs, ils sortent sur leurs balcons, chantent tous les mêmes chansons, dansent, applaudissent les soignants, sont encore ensemble dans l’isolement.

Est ordonnée la fermeture des commerces « non essentielles à la vie de la nation ». En Belgique, en Suisse, en Allemagne, on ferme les maisons closes. C’est le paradoxe qu’illustrait déjà La Maison Tellier, « pour cause de première communion ». Les notables de Fécamp, contrariés dans leurs habitudes, faisaient le bordel dans la rue, « s’exaspérant que la police laissât fermer ainsi un établissement d’utilité publique ».

Avec le sida, les moralistes pouvaient appeler à l’abstinence. Mais le coronavirus est plutôt une malédiction de la fraternité : elle frappe tous les gars du monde qui se donnent la main.

Comme la guerre selon Freud, névrose collective qui absorbe les névroses individuelles, le vide des villes donne une forme au vide personnel.

mardi 17 mars 2020

Virus corona


Le coronavirus a fait s’écrouler les ventes de la bière Corona. Lacan avait raison : l’homme est gouverné par la puissance du signifiant. On riait bien que les premiers cas en France se soient produits aux Contamines-Montjoie.

Le coronavirus a fait monter les ventes de La Peste de Camus, comme l’incendie de Notre-Dame de Paris a profité au roman de Victor Hugo. On attend l’événement qui fasse décoller L’Espoir.

Des chiffres de morts, des chiffres de contaminés, des chiffres de patients en réanimation. Mais on attend le premier mort célèbre, qui donnera un visage aux chiffres.

Une amie, par lapsus, écrit coranovirus. Mais oui, c’est cela, on tient l’explication : le virus a provoqué l’annulation des concerts, la fermeture des cafés. Et qui voulait cela ?

On apprend des mots nouveaux : quatorzaine, co-morbidité, distanciation sociale, gestes barrières.

Un évangéliste, après la contamination des fidèles qui s’embrassaient et se donnaient la main : « On croit au miracle, mais on se lave les mains. »

La pandémie, qui paralyse l’économie, aura un effet bénéfique sur les ressources de la planète, dont on dépasse les possibilités de renouvellement vers la moitié de l’année.

Les politiques de santé montrent que la santé est politique. Les régimes tyranniques de contrôle de la personne s’en tirent mieux que les autres. Les Chinois ont adapté leur système de reconnaissance faciale en détection de température à distance. Donald Trump profite de la catastrophe pour enfoncer un coin entre l’Europe et les Insulaires qui viennent d’en sortir. Ceux qui fermaient leurs frontières aux migrants ont désormais une raison sanitaire de les laisser mourir à la porte. Nos régimes créent le consensus de l’urgence, réduisant au silence toutes les oppositions aux réformes en cours. Même les hôpitaux, qui étaient au bord de l’explosion, retrouvent des forces que les soignants à bout ne se soupçonnaient pas. Plus personne dans les rues pour manifester : l’espace public est interdit.

Pourquoi les Français font-ils provision de papier hygiénique ?
— Parce que le mot « hygiène » leur donne l’impression que ce papier-là fait barrière.
— Mais non, c’est parce qu’ils sont dans la merde.

Quand on recommencera à se serrer la main, à s’embrasser, ce sera émouvant comme des retrouvailles après une longue séparation. À moins qu’on ait pris l’habitude de se saluer à un mètre, à la japonaise. Telle amie, que je m’excuse de ne plus embrasser, se déclare au contraire soulagée : « D’ailleurs, j’ai toujours eu horreur des bises ! » Et pourquoi continuer à se serrer la main, alors qu’il ne vient plus à l’esprit de personne qu’on pourrait y cacher un poignard ?

jeudi 5 mars 2020

Politique or not politique


Combien de jours pour faire le deuil de son enfant ? Cinq jours suffisent, d’après les député.e.s de la majorité. Celles et ceux du Centre proposaient douze jours ; le Sénat a décidé de porter le « congé de deuil » à quinze jours. Mais un psychologue pourrait rouvrir le débat par sa théorie originale. Selon lui, on ne fait jamais son deuil après la perte d’un enfant, et un arrêt de cinq, douze ou quinze jours ne change rien. Pire : plus en attend pour retourner au travail, et plus on tombe dans un chagrin sans fond. Il vaut mieux inviter le salarié à reprendre son poste le plus tôt possible, dès le lendemain de l’enterrement. Le CNPF approuve cette mesure, dans un souci d’humanité. La majorité présentielle se dit prête à suivre les recommandations de ce psychologue.

En révélant sur WikiLeaks des milliers de documents accablants pour le Pentagone, Julian Assange fait un acte de salubrité politique, de portée mondiale. Dans sa dernière lettre, la « directrice épuisée » d’une école primaire met en cause le fonctionnement de l’institution avant de se suicider sur son lieu de travail, donnant ainsi à son geste une signification politique. L’étudiant lyonnais qui s’immole devant le CROUS dénonce la précarité dont tous les étudiants sont victimes : ses camarades le décrivent comme passionné de politique, pensant aux autres, s’exprimant toujours « dans une optique collective ». Sur son site nommé Pornopolitique, Piotr Pavlenski met en ligne des vidéos censées démasquer l’hypocrisie des hommes politiques. « Je fais de l’art politique », dit-il. Or, le discours officiel (pouvoir, médias) prive ces actes de leur dimension collective, les renvoyant à une affaire personnelle : Julian Assange est poursuivi pour agression sexuelle ; une « source proche de l’enquête » croit savoir que l’institutrice souffrait de « fortes lésions sentimentales » ; l’étudiant manquait probablement de stabilité psychologique ; le performeur russe doit répondre d’atteinte à la vie privée. Les politiques ont le monopole de l’assignation du sens politique, et surtout de la négation de ce sens. L’institutrice concluait sa lettre : « Je remercie l’institution de ne pas salir mon nom. » C’est fait.

« Les partis politiques ont fait des punaises de lit leur cheval de bataille » (France-Inter, 21 février 2020)

Les rats, les cochons et les singes ont le « matériel génétique » le plus proche de l’homme (et de la femme), c’est-à-dire les animaux que nous jugeons les plus répugnants et les plus ridicules.