mardi 28 février 2017

Les zoms politiques (y compris quelques femmes)


Je ne laisserai personne sur le bord de la route. Les zoms politiques aiment cette image du conducteur généreux pour les auto-stoppeurs : on a entendu ce cliché dans la bouche de Sarkozy, maintenant Macron. Sur les routes, on voit pourtant de plus en plus d’errants à chaussures usées, et quand les voitures officielles passent à toute vitesse, escortées de motards, se réfugier d’un bond sur le bord de la route est leur seule chance de survie.

Les zoms politiques se plaignent que les journalistes commentent des « phrases sorties de leur contexte ». Sur le principe, ils ont raison : chacun a fait l’expérience de la déformation de ses propos en raison d’un énoncé tronqué. Mais en pratique, ils ont souvent tort. La réécoute de leur discours intégral ne diminue en rien la portée de l’énoncé décontextualisé. D’autant que les zoms politiques ne construisent plus de discours, comme au temps des orateurs, mais qu’ils calibrent une suite de petites phrases déconstextualisables, prêtes à l’emploi pour les citations dans les médias.

Pendant qu’un zom politique dit à la radio que les agriculteurs ont « une mission sociétale », une agricultrice se pend dans sa salle de traite, avec pour seuls témoins ses vaches laitières qui ne peuvent plus la nourrir et qu’elle désespère de pouvoir continuer à nourrir. Fin du « monde agricole », puisque l’agriculture est un « monde » pour les zoms politiques.

jeudi 16 février 2017

Mon portable


Mon portable est intelligent. Il sait ce que je vais écrire. Il a en stock un dictionnaire pour corriger les fautes, mais aussi un manuel de conversation avec une multitude de clichés et, plus impressionnant, il a conservé en mémoire mon lexique usuel, sclérosé en tics de langage, et mes suites habituelles de mots, qui constituent autant de routines de discours. Mon portable me propose à la fois la langue de tout le monde et ma parole personnelle ; c’est un trésor lexical qui mélange la langue commune et mes expressions individuelles.

Travaux pratiques en direct : je tape Je sur le clavier, et la barre des mots propose au choix : suis – vais – pense – ne – sais – me – crois – peux – viens – le.

Rien de personnel.

Si je sélectionne vais, s’affiche une autre suite de mots syntaxiquement cohérents : me – faire – voir – te – aller.

Donc, je vais aller, tournure lourde, mais sans doute habituelle sous mes doigts. Après aller, le portable suggère, entre autres possibilités, chez, que je sélectionne. Vient ensuite une liste de déterminants. J’appuie sur les. Nouvelle série : parents – jeunes – loups – gens – autres – filles – hommes – Romains – enfants – voisins. Ici, on entre dans le dur du sens. Aller chez les filles fait partie des expressions toutes faites, j’imagine. Mais aller chez les hommes paraît incongru. Et que vient faire ici Romains ? Le portable se souvient-il d’Astérix ? C’est un second intrus qui m’épate : loups. Aller chez les loups. Car cette expression-là appartient bien au répertoire de ce que j’écris régulièrement. Le portable a retenu cette private joke, et j’hésite entre admiration pour une telle mémoire et inquiétude d’être ainsi écouté par mon portable. Désagréable impression qu’il en sait plus que moi, qu’il écrit par anticipation, qu’il devine mes pensées et qu’il choisit à ma place. Si je valide la suggestion, j’obéis à ce nouveau maître. Parfois, j’appuie à côté dans la liste présélectionnée et il me fait dire ce que je ne voulais pas dire. Mais qui sait ? C’est peut-être lui qui avait raison. Mon portable propose et dispose.

jeudi 9 février 2017

Choses entendues (notées sur le vif)


Deux femmes :
— Tu es sûre d’être sûre ?
— Formidable ! Tu verrais comme il a changé…

Un jeune gameur, à un footballeur virtuel :
— Toi, si je retrouve ton prénom, t’es mort.

Un homme qui marche dans la rue, à son portable :
— Toi, on te connaît, quand il s’agit de discuter…

Une femme, à son portable, hurlant :
— C’est bon. Il veut ma mort. Laissez-moi tranquille !

Une employée de la Poste, énervée par son ordinateur :
— Putain ! oh pardon, ça ne fait pas partie de mon vocabulaire, je vous prie de me croire.

samedi 4 février 2017

Pénélope II


On apprend que Penelope (sans accent) a pour surnom Penny. Ce trajet onomastique, de l’épouse modèle à une monnaie, dessine comme un destin.

Publier des notes de lecture sous pseudonyme, n’est-ce pas une infraction assimilable à du travail dissimulé ?

Celle qui semblait la complice apparaît désormais comme une victime, emprisonnée dans un roman de province imaginé au XIXe siècle. Qu’elle soit étrangère et réduite au silence augmente le désarroi, le sien et celui des voyeurs que nous sommes. Constamment dans l’ombre, et tirée vers la lumière pour y être aveuglée.