mercredi 29 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (38)


Dans sa 31e « chronique du confinement » de la série Sine die, Éric Chevillard écrit : « Notre langage insensiblement s’étiole et s’appauvrit dans ce contexte si peu textuel. »

À mesure que notre parole de confinés se réduit, la langue officielle tend de plus en plus vers l’abstraction. Est-ce un effet de la dématérialisation imposée par les machines numériques, ou bien la volonté d’empêcher les contacts physiques en remplaçant le vocabulaire concret ?

On parle de distanciation sociale, là où le mot distance aurait aussi bien fait l’affaire.

Ne dites pas présence, cela rappelle le vieux monde de la proximité, mais le présentiel, et même, à un niveau supérieur d’abstraction, la présentialité.

Les émissions audio et vidéo se font en absentiel. « La classe ne peut pas être remplacée par le distantiel », dit Philippe Mérieux (France-Inter, 21 avril 2020). On attend pour bientôt absentialité et distantialité.

Pour les abstracteurs de quintessence qui distillent la langue officielle, il n’y avait déjà plus de problèmes mais des problématiques, avec ce confort pour les gens de bureau qu’une problématique peut se contenter d’être posée (c'est un sujet, comme on dit), alors qu’un problème, autrefois, il fallait bien se rendre sur le terrain pour le résoudre.

mardi 28 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (37)


Il est à craindre que les forces de l’ordre souffrent actuellement d’un sous-entraînement physique chronique.

Ce n’est pas leur confinement qui est en cause (ils peuvent sortir sans remplir l’attestation de déplacement dérogatoire), mais celui de la population. Le problème se pose en effet pour eux de garder la forme dans une période sans affrontement avec des manifestants. Ils ont connu une période faste de musculation, avec la loi travail, les Gilets jaunes, les défilés des personnels soignants.

Pour ne pas perdre complètement la main, il leur arrive encore de frapper à coups de muselière un malade mental jeté à terre, ou un Arabe repêché dans la rivière. Mais ce sont menus fretins à côté des costauds qui manifestent le samedi. Verbaliser une vieille qui va faire coucou à son vieux par la fenêtre d’un Ehpad ou un fils qui veut s’incliner sur la dépouille de son père permet de se rassurer dans la certitude que la force reste à la loi, mais c’est quand même un peu déprimant pour de grands gaillards habitués à exercer la violence légitime de l’État.

Cette période d’inaction ne manquera de peser dans les corps, comme pour tous les sportifs, quand il faudra reprendre du service dès que les héros du quotidien, applaudis aujourd’hui, descendront dans la rue pour réclamer leur dû. Alors, les jambes risquent d’être cotonneuses à la course, et les bras un peu mous en brandissant les matraques.

lundi 27 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (36)


Après le 11 mai, seuls auront le droit de rouvrir les théâtres qui jouent Huis-clos.

Comment organiser des tournois de tennis alors qu’on signale dans tous les dispositifs de protection des trous dans la raquette ?

Pour préparer les JO de 2021 à Tokyo, l’équipe de France de triathlon s’entraîne en mode confiné aux trois épreuves (natation, cyclisme et course à pied) en les remplaçant par la course au masque, au gel hydroalcoolique et au test.

Dans les sports de contact, on réfléchit à de nouvelles règles en alignant un joueur sur deux.

Les épreuves cyclistes ne comporteront que des courses contre la montre individuelles, avec départ toutes les deux minutes. Il sera interdit de doubler.

Une amie me fait remarquer que l’anagramme de chauve-souris est souche à virus. Et Covid donne Vidocq, à la fois truand et flic ; on est mal.

dimanche 26 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (35)


Cette année, l’été tombera en automne.

Dans le monde d’après, les vacances ressembleront à celles du monde très ancien, quand on les calait sur les moissons, les vendanges et la Saint-Michel, jour où on renouvelait les baux, c’est-à-dire de fin juillet à fin septembre.

Du haut de son balcon, Juliette n’a pas eu le temps de prévenir Roméo que la police arrivait.

Une place sur deux vide dans les avions, les trains, au cinéma, autour des tables de restaurant, distanciation sociale dans le métro : mais que vont devenir les frotteurs ?

Les émissions audio et vidéo en absentiel (si, le mot existe) mettent en évidence la très mauvaise qualité technique des liaisons par téléphone et par skype. Dans ce domaine non plus, on n’était pas prêts.

samedi 25 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (34)


Quand Donald Trump propose aux médecins d’essayer de faire entrer la lumière à travers la peau pour tuer le coronavirus ou d’injecter du désinfectant à l’intérieur des poumons, les médias sont effarés, consternés, etc. Pourtant, Trump est dans la logique de ce qu’il a toujours fait et dit. Aussi bizarre qu’elle paraisse, sa proposition relève d’une méthode constante, celle qui consiste à nier les oppositions logiques.

On connaît son invention des « vérités alternatives : il n’y a pas de différence entre mensonge et vérité, news et fake news.

Dans le même esprit transgressif, il n’y a pas de différence entre le dehors et le dedans, une surface qu’on peut aseptiser en la frottant avec de l’eau de Javel et l’intérieur d’un corps humain. Quand il dit : « Est-ce qu'il y a un moyen de faire quelque chose comme ça avec une injection à l'intérieur, ou presque, comme un nettoyage ? », il esquisse à deux reprises le geste circulaire d’une main qui donne un coup de chiffon. L’homme est un objet comme un autre, qu’on peut rendre clean en une minute par un nettoyage exprès, avant de le remettre immédiatement dans le circuit du travail.

Et quand Trump fait savoir le lendemain qu’il plaisantait, il reste sur le même terrain de l’indistinction : la négation de la différence entre le sérieux et le comique.

vendredi 24 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (33)


Avant, après

Avant, on avait des problématiques.
Après, on aura des problèmes. Tant mieux : on pourra enfin chercher des solutions.

Avant, les pauvres étaient pauvres et les riches très riches.
Après, les pauvres seront encore plus pauvres.

Avant, il y avait des listes d’attente pour avoir une place en Ephad.

Après, on travaillera en « mode dégradé ».
Le travail d’avant, on se demande si ça ne l’était pas déjà un peu.

Avant, la pollution de l’air était responsable de 800.000 morts par an en Europe et 8,8 millions dans le monde.
Après la relance de l’économie, ce sera pire. (Les masques à gaz peuvent protéger contre le coronavirus mais l’inverse n’est pas vrai.)

Avant, on avait des scrupules d’être tout seul dans sa voiture.
Après, on aura peur de prendre les transports en commun.

Avant, la Chine traçait les « Nouvelles routes de la Soie ».
Après, la Chine ouvrira la Nouvelle route pour Soi.

jeudi 23 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (32)


Tous les soirs, Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, se met debout à heure fixe derrière un pupitre de verre, gage de transparence, pour égrener d’une voix neutre le nombre de morts en France, en Europe, dans le Monde, le nombre d’hospitalisés, de patients sous respirateurs, etc. Une fois qu’il a solidement établi son autorité de scientifique sur des chiffres objectifs que personne ne peut contester, il passe à la deuxième phase de sa mission officielle, depuis le début de la pandémie : démontrer que les masques sont inutiles, qu’il suffit de respecter les gestes barrières et la distanciation sociale fixée en France à 1 mètre pour se protéger des éternuements, qui projettent 40 à 100.000 gouttelettes dans un rayon de 1m50.
Mais depuis que l’Académie de médecine a recommandé la généralisation du port du masque dans l’espace public, le directeur général de la Santé a dû modifier son argumentaire : il met désormais en garde contre le mauvais usage de cet agent de prévention : « ce n’est pas si simple que ça de savoir porter le masque », dit-il. Il prévient également contre le « sentiment de fausse sécurité » qui peut apparaître avec le port du masque.
Les Français n’ayant pas la même culture que les Orientaux concernant cette pratique, Jérôme Salomon a bien voulu donner quelques recommandations de base.

Les personnes doivent porter le masque sur le nez et la bouche.

Il est déconseillé de passer les masques en papier au lave-linge, ou alors à très basse température.

L’utilisation des élastiques comme fronde pour tuer les moineaux risque d’endommager le masque.

Le coronavirus n’étant pas sexuellement transmissible, il est déconseillé d’utiliser le masque comme préservatif.

On peut louer le Seigneur d’avoir doté sa créature de deux oreilles, symétriquement disposées de part et dautre de la tête.

Même quand les Chinois inonderont le monde de masques à bon marché, il ne sera pas utile d’en porter deux lun sur lautre.

Journal insignifiant d’un con, finement (31)


Mercredi 22 avril 2020

« Il n’y a pas de consensus scientifique à ce stade sur l’utilité de l’utilisation du masque par tous les Français » (Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement)
Or il y a pénurie de masques
Donc les masques ne sont pas utiles

Les masques ne sont pas utiles
Or le Président porte un masque
Donc le Président n’est pas utile

Le coronavirus est apparu en Chine
Or la Chine est un pays étranger
Donc on a décidé de fermer les frontières

Tous les invisibles sont des héros
Or le coronavirus est invisible
Donc le coronavirus est un héros

Seuls sont ouverts les commerces essentiels
Or les huiles se trouvent dans le commerce
Donc les huiles sont essentielles

Le syllogisme est un raisonnement vrai
Or le virus est vrai
Donc le virus est dans le syllogisme

mardi 21 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (31)


B comme barrière (geste)
C comme cluster, confinement, coronavirus, Covid-19
D comme déconfinement, distanciation (sociale), drastique

Pour une fois, on connaît avec beaucoup d’avance ce qu’on trouvera de neuf dans Le Petit Larousse illustré qui sort à la rentrée.

lundi 20 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (30)


En ville ou à la campagne ?

À cause de la pollution, il vaut mieux habiter à la campagne.
À cause du prix de l’essence, il vaut mieux habiter en ville.
À cause de l’insécurité, il vaut mieux habiter à la campagne.
À cause des zones blanches, il vaut mieux habiter en ville.
En temps de confinement, il vaut mieux habiter à la campagne.
Si on veut se faire soigner, il vaut mieux habiter en ville.

Il vaut mieux avoir un appartement en ville et une maison à la campagne, comme ça on peut choisir.

dimanche 19 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (29)


Et nous aussi on l’aura eue, notre guerre mondiale.

En pleine guerre, « le gouvernement a changé son fusil d’épaule sur la question du masque » (un journaliste).

54% des marins infectés à bord du porte-avions le Charles-de-Gaulle, on a largement dépassé le taux de 7% de pertes tolérées par l’armée.

Déjà, dans En marche, il y avait quelque chose de militaire : on entendait distinctement En (avant), marche ! Et le Président remontant pour la première fois les Champs-Élysées dans un véhicule de l’armée, c’est une image forte.

Comment le Président va-t-il passer de chef de guerre à chef de care ?

samedi 18 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (28)


Ces planqués qui ne font rien d’autre qu’applaudir au balcon à 20h obligent le chef de l’État à décaler de deux minutes sa prise de parole : ce n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’audiovisuel.

Les pouvoirs publics mériteraient de s’appeler autrement.

C’est étrange comme Roselyne Bachelot semble brusquement très très sympathique.

Faute de faire appliquer des ordres clairs descendus du sommet, les préfets ont pour principale fonction de s’opposer aux initiatives locales des maires soucieux de protéger leur population. Plutôt pas de masques pour personne que des masques obligatoires ici ou là. Ce serait une rupture du principe d’égalité qui s’applique sur tout le territoire.

Et j’ai crié, crié
Christophe
Pour qu’il revienne
Et j’ai pleuré, pleuré
Oh ! J'avais trop de peine
Signé : Aline.

vendredi 17 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (27)


Alerte. Éditions spéciales : attentats, Gilets jaunes et Covid-19. Si on superpose.

Attentat : c’est une date dont on se souvient, dans un lieu précis, des noms et des visages. On applaudit les forces de l’ordre. Même Renaud a embrassé un flic. On descend en masse dans la rue. Tout le peuple fait bloc contre un ennemi bien identifié.

Gilets jaunes : c’est tous les samedis, des défilés à Paris et dans les grandes villes de France, un nombre de manifestants variant du simple au double selon les sources. Violences des blacks blocs contre violences policières. La France s’est divisée contre elle-même : laissés-pour-compte contre riches, rats des champs contre rats des villes.

Covid-19 : c’est tous les jours sur la carte de France et du monde, avec une liste de morts qui s’allonge et pour une durée indéterminée. Les forces de l’ordre sans casque ni matraque distribuent des amendes aux citoyens désarmés. Le monde entier se bat contre un ennemi invisible.

Les unités de temps et de lieu se sont étendues, l’ennemi s’est invisibilisé, le peuple tour à tour s’est soudé, puis fracturé en deux, puis atomisé. Le Covid-19 est une bombe à fragmentation.

jeudi 16 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (26)


Les premiers de cordée ont été remplacés par les premiers de corvée. Ah zut, un journaliste l’a déjà fait, ce jeu de mots.

Cette année, le dicton ne s’est pas vérifié : Noël au balcon, Pâques aux balcons.

Le virus contamine jusqu’à la syntaxe : « comment pallier à l’insuffisance des masques ». Vivement que les journalistes et les politiques reprennent des cours de français, après le 11 mai.

Les terroristes étaient lourdement armés, les Ehpad sont cruellement frappés. Rien de tel qu’un bon gros adverbe en –ment pour bétonner le discours.

mercredi 15 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (25)


Le tournoi de Roland-Garros 2020 se déroulera sans spectateurs. Les tribunes seront garnies des célébrités, chapeaux et lunettes de soleil filmés l’année dernière. Dunlop a conçu une balle jaune spéciale, hérissée de petites antennes rouges. Les joueurs échangeront des balles de fond de court, avec interdiction de monter au filet.

Antoine Blondin ne suivra pas le Tour de France cette année, parce qu’on y interdit les verres de contact.

Le Tour de France arrivera sur l'avenue des Champs-Élysées le 20 septembre. En conséquence, le 14 juillet est repoussé jusqu’à cette date.

mardi 14 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (24)


Ce n’est pas parce qu’on entend or dans coronavirus qu’il faut s’en prendre aux riches pour payer la note. Après tout, c’est parti d’un pays communiste.

Le ministre des comptes publics réfléchit à la mise en place d’une plate-forme de dons pour lutter contre le Covid-19. Depuis le XIXe siècle, c’est encore la charité qui marche le mieux avec les riches.

Le ministre de l’économie a prié Messieurs les Grands Patrons de bien vouloir accepter de réduire de quelques euros le salaire qu’ils se versent, dans leur propre intérêt. On espère ainsi éviter une crise sociale après la crise sanitaire.

Certains pauvres esprits revanchards voudraient rétablir l’ISF. Il vaut mieux inciter les grandes fortunes à quelques gestes spectaculaires. Mais ça vient moins vite qu’après l’incendie de Notre-Dame, qui se prêtait mieux au mécénat.

Les industries du luxe se reconvertissent dans la fabrication de masques en tissu et de gel à 2 euros la bouteille. C’est bon pour le retour sur image. Mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps.

On remercie énormément les infirmières, les aides-soignants, les aides à domicile, les caissières, les éboueurs. On accordera une prime aux survivants, et même à leur famille en cas de décès. Après la crise, on leur donnera des médailles et on gravera leurs noms sur des plaques. On continuera à les remercier pendant longtemps. On ne les remerciera jamais assez.

En bon père de famille, le patronat s’inquiète de la santé des ouvriers : quand ils sont malades, ils ne peuvent plus être sur la chaîne.

lundi 13 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (23)


Habemus papam, enfin !

François a renoué avec le geste des prophètes de la Bible : il prêche dans le désert.

Cette année, les œufs de Pâques aussi sont sous cloches.

Il suffit de regarder les églises pratiquement désertes pour mesurer le taux de déchristianisation de la France.

Heureusement que Notre-Dame de Paris a brûlé il y a un an, sinon elle aurait été pleine cette année, et ça aurait été une catastrophe pire encore.

Dans la journée, on jeûne bien confinés chacun chez soi, et après le coucher du soleil, c’est la fête tous ensemble en famille, avec les amis, les voisins, dans la rue.

Des traditionnalistes ont été pris en flagrant délit de messe pascale clandestine à Saint-Nicolas-du-Chardonnay. Le prêtre intégriste s’est justifié en présentant le latin comme une langue barrière.

Covid ! covid ! ça y est, s’exclame le vieil Hugo devant l’Océan, terminant son long poème « Le Jour de Pâques », je la tiens ma rime à « tombeau vide ».

dimanche 12 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (22)


En sortant guéri, Boris Johnson remercie l’hôpital public de lui avoir sauvé la vie. C’est un miracle (pas la guérison).

La Tendresse. Symphonie confinée. Réponse au libéralisme qui atomise et défait les solidarités, cette superbe « symphonie confinée » qui fait chanter, jouer, danser les solistes solitaires (ils ont juste un nom, un lieu, couvrant la France, avec échappée vers l’Italie frappée), cœur choral, chœur cordial, chacune, chacun dans son chez soi, dehors ou dedans, avec l’humour en plus (un chat, une brosse à dents, un rouleau de PQ pour la douceur). Vue plus de deux millions de fois. Ce qu’on invente de mieux.

samedi 11 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (21)


On pourrait considérer la tragédie d’un autre point de vue, en regardant la situation de haut : périodiquement, la Nature donne un grand coup de pied dans la fourmilière des hommes pollueurs, prédateurs, pilleurs de ressources, parasites.

Premier avertissement.

Il y a ceux qui disent : on ne va pas repartir comme avant, il faut changer le système qui nous a menés là ; et ceux qui ont la main sur les manettes pour relancer la machine plein gaz dès que le feu repassera au vert. Plus vite, plus haut, plus fort, ça vaut aussi comme devise d’une économie dopée.

« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent » : la citation, faussement attribuée à Chateaubriand (parce qu’il est le poète des forêts et des déserts), se trouve en ce moment contredite par les images de la Nature reprenant vite ses droits dès que l’homme se retire.

Nous revient à la mémoire la belle phrase désespérante qui conclut Les Mots et les choses de Michel Foucault (1966) : « … alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable ».

vendredi 10 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (20)


Liliane Marchais est morte du Covid-19 le jeudi 9 avril, dans un Ehpad, à l’âge de 84 ans. C’est le 21 janvier 1980 que son mari Georges lui avait donné l’ordre, resté célèbre : « Liliane, fais les valises, on rentre à Paris. » Elle a mis quarante-et-un ans pour boucler la sienne, se soumettant finalement à un agent venu d’un pays communiste.

La seule chose qui nous rapproche, c’est l’éloignement.

Malgré le confinement, la poussière parvient à rentrer dans les appartements. Par où ?

Pendant la pandémie, on se découvre tous frères, sauf avec les réfugiés, qui viennent d’ailleurs et qui en plus peuvent introduire subrepticement le virus.

Face à la Chine, le plus gros producteur industriel de masques, la France se positionne au premier rang des puissances qui fabriquent des masques artisanaux, avec de vieilles chutes de tissus, homologués par le ministère de la santé.

jeudi 9 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (19)


Ça va mieux : les journalistes ont retrouvé leur ton badin et leur humeur faussement enjouée.

Surtout ceux qui présentent la météo : ils sont ravis d’annoncer que dehors, il fera beau.

Chers auditeurs, vous avez la parole, l’antenne vous est ouverte. On a besoin d’entendre des témoignages qui rassurent et qui soutiennent l’effort de guerre.

Si par hasard un auditeur se mettait à analyser sérieusement la situation en montrant que la crise est politique, tu lui couperais la parole en lui disant On a bien entendu votre colère, et même votre coup de gueule. Au suivant.

Les attentats, les Gilets jaunes, maintenant la pandémie ont façonné une génération de journalistes à produire de l’info en boucle : ils sont capables de continuer à parler quand il n’y a plus rien à dire.

Les têtes de micros portent désormais un préservatif intégral, pour éviter que l’information soit contaminée.

mercredi 8 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (18)


Maintenant que les scientifiques ont accès aux médias en permanence, on sait comment ils parlent de nous : le confinement pourra être levé quand on aura des certitudes concernant l’immunité de troupeau.

Entendre un scientifique dire : « Je ne sais pas », c’est flippant mais quelque part, ça fait du bien.

Le pauvre patient ne comprend pas trop ce qui se passe entre le professeur barbichu et chevelu de Marseille et ses confrères rasés ou chauves, mais il devine des conflits anciens entre mandarins parisiens et un franc-tireur de province – pire : de Marseille, une sorte de fada de la recherche médicale, très mal en cour, et qu’on nomme du bout des lèvres.

Quand les politiques ne savent plus quoi faire, ils s’en remettent aux scientifiques, qui ne sont pas d’accord entre eux.

Les obèses ont un taux de mortalité supérieur aux autres. Pour ne rien arranger, on est tombé sur un virus grossophobe.

Quand on entend certains psys donner des conseils pour vivre en temps de crise, on se dit qu’on n’a pas envie d’aller les voir en temps ordinaire.

mardi 7 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (17)


À qui fera-t-on croire que ces personnels de santé étaient épuisés, au bord du burn-out il y trois mois, alors qu’ils en avaient encore sous le pied pour faire face à une pandémie ?

Le directeur de l’ARS (Agence régionale de santé) du Grand Est annonce la suppression de lits et de postes au CHU de Nancy, après la fin de l’épidémie. Voilà le vrai héros des temps modernes, celui qui fait preuve de courage en bravant l’opinion.

Ah, mais je le reconnais, le type qui m’applaudit à 20 heures : c’est lui qui m’a fait un doigt d’honneur du haut de son balcon quand j’ai défilé avec ma pancarte « Infirmière en colère ».

lundi 6 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (16)


Quel ministre de l’Intérieur n’en a pas rêvé : rassemblements illégaux, défilés interdits, le trajet entre République et Nation absolument désert.

Le Conseil constitutionnel a déclaré que la pétition contre la privatisation de l’Aéroport de Paris n’avait pas recueilli suffisamment de signatures. Au moment où les avions ne s’y posent plus, c’était urgent.

Le même Conseil constitutionnel s’est proclamé compétent pour débouter les soignants qui demandaient à l’État des masques et des moyens de dépistage. C’est une grande satisfaction de constater que même par temps de crise les grands corps assurent la stabilité des institutions.

Aujourd’hui, l’heure n’est pas aux polémiques stériles ni aux divisions. Nous répondrons à toutes les questions (légitimes) demain.

« Si on a des masques, on peut dire qu’ils sont utiles. » Le discours officiel ne se contredit jamais : il évolue.

dimanche 5 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (15)


La nouvelle fracture linguistique divise la France entre les savants qui disent Covid-19, et ceux qui parlent du Coronavirus, le peuple.

Drastique, drastiquement : rien qu’à la manière d’attaquer le mot, en faisant péter la dentale, on comprend que la situation est grave et que le remède sera sévère.

Tension : synonyme de pénurie, dans un moment où il ne faut pas affoler les citoyens. Exemple : tension sur les masques, tension sur les tests, tension sur les respirateurs. Dans d’autres usages, litote pour conflit : le gouvernement tente de calmer les tensions sociales.

Métaphore topographique : Le pic n’est pas encore atteint, mais la courbe ascendante connaît un ralentissement de sa progression, avant d’atteindre un plateau. Mentalement, on a un peu de mal à visualiser.

Comme les conseillers en communication étaient bien embêtés avec le détournement des premiers de cordée au profit des soignants, ils ont inventé l’image des trois lignes, pour aplatir à l’horizontale une représentation sociale qui risquait d’échapper à l’autorité du pouvoir.

Bombe : il fallait s’attendre à passer d’une guerre classique, avec de la chair à canon et des soldats en première ligne, à une guerre moderne. Il est question désormais de bombe atomique et de bombe à retardement.

En temps de guerre, les gens deviennent grossiers. Xavier Bertrand : l’argent, on s’en fout, qu’on ne nous emmerde pas. Une infirmière réclame des « putains de masques ». Langage de corps de garde. C’est ça, le parler vrai.

vendredi 3 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (14)


Pour une fois, les Juifs n’y sont pour rien. À moins que la pandémie ne soit partie d’un baiser au mur des Lamentations.

Avec un peu de chance, les ultra-orthodoxes et les intégristes de toutes les religions vont s’éliminer d’eux-mêmes : inutile de prendre des précautions, Dieu pourvoira à notre salut, embrassons-nous.

Quand on pense que deux mille fidèles réunis à Mulhouse ont accompli la volonté du Seigneur, qui envoyait ses disciples répandre la bonne parole dans le monde entier.

« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » (article 1 de la Loi du 11 octobre 2010). Le législateur va devoir réformer la loi.

Finalement, le niqab, c’est peut-être la solution pour une protection intégrale.

Journal insignifiant d’un con, finement (13)


Les morts dans les Ehpad ne sont pas comptabilisés dans les chiffres donnés tous les soirs par le directeur de la santé. On savait déjà que les vieux ne comptaient pas.

Au début, on se disait que les jours de confinement équivalaient à des vacances, mais à mesure que le temps passe, il apparaît qu’un été complet ne sera pas de trop pour s’en remettre.

Sauve qui peut, mais certains peuvent plus que d’autres.

Pendant la pandémie, les éboueurs continuent à ramasser nos poubelles. Le tri sélectif est toujours en vigueur. Dans les hôpitaux aussi.

La pandémie nous fait perdre la dernière de nos illusions : que les hommes sont égaux devant la mort.

jeudi 2 avril 2020

Journal insignifiant d’un con, finement (12)


Y aura-t-il des œufs à Pâques, et du muguet au 1er mai ? Et des défilés au 1er mai, est-ce qu’on en verra ?

Pape Diouf est mort du coronavirus. C’était le premier Pape noir.

Manquerait plus qu’un petit malin infecte Internet d’un virus informatique, et on serait privés de ce qui nous permet de supporter l’autre virus.

Orly ferme. C’est le moment pour les riverains de vendre leurs maisons, comme dans Un éléphant, ça trompe énormément, où l’agent immobilier profite d’une grève.