mardi 30 octobre 2018

Un faux


« On attend que de grandes responsabilités échouent à des femmes » (France Inter, 9 septembre 2018)

« Donald Trump ne s’est pas embarrassé de circonvolutions » (France Inter, à propos de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi)

L’attentat a fait des victimes parmi les opposants au régime. Le Dirigeant est généralement tenu pour responsable de cet acte odieux et lâche, au moins indirectement par les propos violents qu’il profère à l’encontre de ses adversaires politiques. Certains vont même jusqu’à le soupçonner d’avoir commandité cet acte de barbarie, pour installer un climat de terreur.
Par un communiqué officiel, le Palais n’a pas tardé à répondre en accusant les membres de l’opposition d’avoir monté eux-mêmes un attentat contre leurs propres amis pour faire croire à la responsabilité du Pouvoir : il suffit de se demander à qui profite le crime pour savoir qui l’a commis. L’opposition espérant tirer un bénéfice politique de cet événement, fût-ce au prix de la vie des siens, elle se désigne clairement comme la main meurtrière.
À moins que la première idée puisse se défendre, le gouvernement ourdissant un acte si grossièrement dirigé contre l’opposition qu’il lui sera ensuite facile de rejeter la faute sur les ennemis à éliminer : si le Pouvoir avait voulu commettre un attentat, il s’y serait pris autrement ; là, manifestement, nous avons affaire à un travail d’amateurs ; à leur place, on aurait fait beaucoup plus de victimes.

dimanche 21 octobre 2018

Brouillons présidentiels


Depuis quelques décennies, la mode est aux brouillons d’écrivains. On les sort des réserves, on les expose, on les numérise sur Internet, on les transcrit, on les interroge. Le lecteur entre ainsi dans le laboratoire de l’écrivain ; il le surprend raturant, arrivant à la bonne forme après beaucoup de tâtonnements. Le génie y perd en sacralité de poète inspiré ; il y gagne en humanité.

Le président-écrivain Macron inaugure l’exposition des brouillons d’un discours politique, pendant le temps même du discours. Ils sont là, mis en scène par un cadrage un peu large. On ne peut pas lire à l’envers sur les feuilles, mais on voit nettement que les papiers sont balafrés de traits et de mots au gros feutre, un peu trop gros, presque un marqueur. Ni ratures d’écriture ni ratures de relecture, comme disent les spécialistes, mais des ratures d’apparat. Quand l’orateur passe à la page suivante, il ne retourne pas celle qu’il vient de lire, mais il la fait glisser sur une autre pile, pour que le recto raturé continue à s’afficher.


En même temps, il concilie la modernité de l’ordinateur et la tradition de la main, le savoir-faire technique et l’artisanat de l’écriture. Seulement imprimé, le texte aurait paru mécanique, impersonnel, possiblement écrit par un autre. Entièrement rédigé à la main, il tirait le président vers les temps révolus de la plume et du papier.

Le dispositif du brouillon a plusieurs fonctions :
— Rattacher le nouveau président à la lignée de ses prédécesseurs qui ont écrit : De Gaulle, Pompidou, Mitterrand ;
— Montrer les traces du travail ;
— Rapprocher le président du Français de base : il est comme nous, il hésite, il n’y arrive pas du premier coup. On comprend la raison de cette mise en scène : modifier l’image de l’homme trop sûr de lui. Le brouillon est un gage d’humilité. Le président fait des fautes, mais il sait les reconnaître. Le gros trait fait au marqueur dit plusieurs choses : je pratique l’autocritique, je sais me corriger, et quand je me corrige, vous avez vu avec quelle énergie du trait. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’il dit, explicitement : « J’entends les critiques. »

Puisque les feuilles portent d’ostensibles traces manuscrites, il faut que l’orateur baisse la tête de temps en temps. Il n’est pas censé connaître son discours par cœur. Au lieu de fixer le prompteur au fond des yeux, il regarde ce qu’il a écrit. Comme nous, il a besoin d’un support. Le discours ne sort pas tout armé de sa tête, comme Minerve de la tête de Jupiter.


Jupiter ne fait pas de brouillons. Emmanuel Macron si, et ça se voit. Les chercheurs en génétique littéraire demandent que les brouillons du chef de l’État soient versés aux Archives nationales, pour qu’ils puissent les étudier.

mercredi 10 octobre 2018

Rebut


Les gens sont sales. Pas sur eux, ils sont plutôt propres sur eux, mais par terre, dans la nature, sur les trottoirs, sur les mers, partout. Les déchets sont devenus un tel problème planétaire qu’on a inscrit au calendrier une journée du déchet, le World Clean Up Day, et que les joggeurs sont encouragés à courir avec un sac et des pincettes pour ramasser tout ce qui traîne. Cela s’appelle le plogging.

Mais d’où vient cette incivilité généralisée ? On pourrait avancer plusieurs raisons.
1) Je paie des impôts pour les balayeurs (entendu d’une dame qui vidait son cendrier de voiture dans un caniveau).
2) Je marque mon territoire comme un chien qui pisse, comme un tagueur son mur.
3) La vie va si vite, je laisse une trace.
4) Je suis moi-même un déchet, on me traite comme une merde sociale. C’est ma signature.
5) Une canette de Coca, reste tranquille. C’est les gros qui polluent, moi à côté, petit joueur.
6) Le monde est trop rangé, lissé, aseptisé, policé. Je jette un papier comme les anarchistes posaient une bombe.
7) Punir la planète en la salissant.

Je me souviens que Michel Tournier a écrit un roman dans lequel le déchet tient une place importante, Les Météores (Gallimard, 1975). C’est à lui que je dois d’avoir appris le mot rudologie, facile à retenir.



Avis aux utilisateurs des wcs.
Devant le manque de civisme de certains nous vous rappelons qu’il y a une brosse pour nettoyer vos œuvres, chacun prend ses responsables [sic].
Nous ne sommes pas là pour contempler votre art.
Merci de votre compréhension.

Souvenir d’école. La journée commençait par une phrase de morale, calligraphiée au tableau noir. Pour l’illustrer, le maître lisait une histoire édifiante. Un garçon mal élevé se promène dans une ville allemande ou hollandaise, très propre. Il vient de France ou pire de plus bas ; il est donc sale. Il jette un papier sur un trottoir immaculé (on en profite pour expliquer le mot « immaculé »). Et là, brusquement, il sent que la ville fixe sur lui tous les yeux réprobateurs de ses mille fenêtres. Dénoncé par ces témoins muets, il fait demi-tour, ramasse le papier et le dépose dans la première poubelle venue. Retour au calme de sa conscience, à l’ordre du monde. Les yeux de la ville se referment. Je m’en souviens encore, de ces fenêtres accusatrices, soixante ans plus tard.