jeudi 19 mars 2020

Coronavirus : l’individuel et le collectif


Celui qui pose officiellement devant Le Rouge et le Noir et qui se prend pour un héros de Stendhal doit vivre pleinement ce temps romanesque. Ses discours s’allongent et se dramatisent. On le sent dans son élément, à la recherche d’une héroïsation. Hier, les héros étaient des victimes du terrorisme ; on applaudissait les flics après Charlie. Aujourd’hui, ce sont les personnels soignants, ces « héros ordinaires », ces « héros du quotidien », à qui on refusait moyens et reconnaissance il y a quelques mois.

Pour la première fois, le Président des premiers de cordée utilise l’expression « les travailleurs et les travailleuses ». Encore un effort, et on réinventera les ouvriers, voire les prolétaires.

« Rentrez chez vous ! » dit l’agent qui s’apprête à verbaliser un SDF, assis sur un trottoir où il ne passe personne.

Assouplissement du travail de nuit, dérogations, déréglementations, ouverture des magasins le dimanche et circulation des camions le week-end, marche forcée des soignants pourtant déjà épuisés, remplissage des hôpitaux au bord de l’explosion : la pandémie obtient ce qu’aucun gouvernement libéral n’avait encore réussi à imposer totalement.

Montesquieu trouverait de quoi illustrer sa théorie des climats : les habitants des pays chauds, gens extravertis parce qu’ils vivent dehors, sont les plus atteints, mais aussi les plus imaginatifs dans les manifestations symboliques de résistance et de solidarité. Dans la chaleur des soirs, ils sortent sur leurs balcons, chantent tous les mêmes chansons, dansent, applaudissent les soignants, sont encore ensemble dans l’isolement.

Est ordonnée la fermeture des commerces « non essentielles à la vie de la nation ». En Belgique, en Suisse, en Allemagne, on ferme les maisons closes. C’est le paradoxe qu’illustrait déjà La Maison Tellier, « pour cause de première communion ». Les notables de Fécamp, contrariés dans leurs habitudes, faisaient le bordel dans la rue, « s’exaspérant que la police laissât fermer ainsi un établissement d’utilité publique ».

Avec le sida, les moralistes pouvaient appeler à l’abstinence. Mais le coronavirus est plutôt une malédiction de la fraternité : elle frappe tous les gars du monde qui se donnent la main.

Comme la guerre selon Freud, névrose collective qui absorbe les névroses individuelles, le vide des villes donne une forme au vide personnel.

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