samedi 1 février 2020

Gabriel Matzneff


Gabriel Matzneff avait fait de la pédophilie l’un des Beaux-Arts. Il en écrivait et il en parlait si bien (il le faisait si bien, induisait-on), il ressemblait si fort à un sage sans cheveu que les hommes de son âge rêvaient de l’imiter, pour connaître ses jouissances interdites et ses gloires médiatiques. C’est par ce grand sage maigre à tête de bonze qu’on aurait aimé être initié.e aux choses de l’art et de la vie, plutôt que par ce rustre partenaire de notre âge. Avant lui, il y avait eu Sade sur papier Bible, Balthus et sa série des Thérèse. On avait même lu sous la plume d’une académicienne franco-belge, peu suspecte de céder aux mœurs du temps, que l’expérience d’un adulte dans ces choses secrètes de la vie était un privilège pour un jeune, comme dans l’Antiquité.

Les moins de 16 ans enviaient leurs semblables, qui bénéficiaient d’une telle expertise en défloration. Elles étaient prêtes à se mettre dans de beaux draps pour finir couchées entre les pages d’un livre. Il n’y avait pas encore de 06 à se repasser, mais on pouvait l’attendre à la sortie d’un studio, ou se trouver sur son chemin en sortant de l’école.

Mais voici qu’une victime s’est extraite d’entre les pages du livre où le collectionneur l’avait épinglée comme un papillon. Les nymphettes, objets des livres que Barbe-bleue leur interdisait de lire, se sont mises à écrire, à s’approprier l’aura de la littérature, à écrire aussi bien, sinon mieux, que l’esthète. Et leurs livres se vendent.

Gallimard retire de la vente les livres de Matzneff, en déclarant : « La souffrance exprimée par Vanessa Springora dans Le Consentement fait entendre une parole dont la force justifie cette mesure exceptionnelle. » Supposons une victime sans position dans le monde littéraire pour se faire éditer, sans style, et sa parole serait restée faible, inaudible. Elle serait doublement victime, et Gallimard n’aurait pas pris de mesure exceptionnelle. L’éditeur ne justifie pas sa décision au nom de la morale, mais en invoquant la valeur littéraire du témoignage à charge. Le ministre de la culture se place sur le même terrain : « Est ce que ce monsieur contribue à la renommée de la littérature française en se faisant le chantre de la pédophilie ? » Si on répond oui à cette question, la pédophilie cesse-t-elle d’être condamnable ? Pour éviter qu’on leur reproche de juger la littérature au nom de la morale, l’éditeur et le ministre condamnent l’immoralité de l’auteur en invoquant des critères esthétiques, ce qui revient à conforter le mélange qu’ils dénoncent.

Il est de bonne hygiène critique de séparer l’homme et l’œuvre, sauf pour les écrits autobiographiques (genre dans lequel les livres de Matzneff se rangent), qui postulent « l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage », selon la définition de Philippe Lejeune. C’est la différence entre Lolita et les livres de Matzneff, qui doit répondre de ses œuvres autobiographiques comme des actes.

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