lundi 11 février 2019

Luc Ferry recalé à l’Académie française


Les Gilets jaunes ont sans doute coûté à Luc Ferry son habit vert. C’est en tout cas ce que laisse entendre la dépêche de l’AFP du 31 janvier 2019, titrée : « Le philosophe Luc Ferry refusé de l’Académie française », avant de donner le détail du vote infâmant : 6 voix sur 29 au 3e tour, et neuf bulletins blancs marqués d’une croix, en signe de récusation de tous les candidats. Dans cette dépêche, la tête du philosophe, à la chevelure en ailes de corbeau raie au milieu et bouche incurvée à l’envers, comme dans un émoticon de grise mine, est ainsi légendée : « L’ancien ministre Luc Ferry a appelé les forces de l’ordre à “se servir de leurs armes pour mettre fin aux violences dans les manifestations de Gilets jaunes” ». La dépêche met donc explicitement en relation la déclaration du philosophe et son éjection du fauteuil académique de Michel Déon.

Pourtant, il doit se trouver parmi les 40 sages (un peu moins, il y a toujours des fauteuils à pourvoir) de farouches défenseurs de l’ordre, au moins de la langue. C’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher les vraies raisons du rejet. Car l’ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche dans les gouvernements I et II de Jean-Pierre Raffarin, n’a pas prononcé la phrase bien construite que l’AFP lui a prêtée par charité. Il a dit exactement, le verbatim de l’émission « Esprits libres » sur Radio Classique du 7 janvier 2019 en fait foi : « Quand on voit des types qui tabassent à coups de pieds un malheureux policier… qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, écoutez, ça suffit ! […] Je pense qu'on a une armée, on a, je crois, la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies, il faut dire les choses comme elles sont. » Les linguistes et les grammairiens de l’Académie ont tenu à sanctionner les mots de style bas (tabasser, saloperies), la tournure populaire « ça suffit », la violente anacoluthe aggravée d’une insupportable syllepse (quand on voit… un malheureux policier / qu’ils se servent). Ainsi l’ordre du dictionnaire et de la rhétorique est-il bien défendu par les policiers des Lettres que sont les Académicien.ne.s.

Mais les penseurs de l’Assemblée ont eu un autre grief. Pour répondre aux critiques suscitées par ses propos, le philosophe a déclaré sur twitter : « Je n'ai évidemment jamais appelé à tirer sur les Gilets jaunes dont je défends le mouvement depuis l'origine. Je demande simplement que les policiers puissent se servir comme ils le demandent de leurs armes non létales quand certains cherchent carrément à les tuer. Clair ? » Malgré le monosyllabe de conclusion qui vise à emporter l’adhésion en éteignant la polémique, les esprits scientifiques de la docte assemblée ont remarqué le flottement logique entre l’emploi absolu du mot « armes », renforcé par « armée », dans la première déclaration, et le même mot limité par un déterminant dans la seconde : « armes non létales ». Un tel flottement dans l’expression trahit une inconstance de pensée. Le philosophe qui revendique de « dire les choses comme elles sont » aurait dû persister dans son être, en affirmant que les choses étaient bien comme il les avait dites. Tant d’approximation augurait mal d’une collaboration fructueuse à la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française.

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