samedi 22 décembre 2018

En baisse


Pour l’instant tout est calme, les derniers gilets jaunes, le mouvement s’essouffle, la contestation marque le pas, perte de vitesse… Les journalistes constatent un retour à la normale. Dans leur intonation, on sent la satisfaction que ça rentre dans l’ordre. Il ne leur déplairait pas que rien ne se passe. Et en même temps, parce que journalistes, ils ne peuvent cacher leur excitation que quelque chose arrive, du feu, de la casse, des charges, des images à montrer.

Les journalistes sont fatigués, comme les Gilets jaunes, comme les forces de l’ordre. Les patrons de presse leur doivent probablement autant de milliers d’heures supplémentaires que l’État aux policiers. Auront-ils droit à une prime de Noël ?

En cette « veille de Noël », on avait préparé pour vous quelques séquences sourires (dernières courses, les commerces qui souffrent, quel foie gras choisir, les stations de ski, Disneyland, gares bondées pour les départs), et voici qu’il faut encore faire « priorité au direct ».

L’image montre beaucoup de gilets en jaune ; le présentateur lit sur son papier : « Mobilisation en forte baisse ». Deux messages contradictoires suffisaient, mais voici que le bandeau défilant en bas de l’écran rajoute une troisième couche : « Mobilisation surprise ».

Ceux qui ne peuvent se payer que des pâtes à Noël vont-ils enfin respecter la trêve des confiseurs ?

Juste après un reportage sur la misère, arrive une « page de publicité » pour un parfum. Avant, on supportait mieux l’obscénité du luxe. Quelque chose a changé dans le degré de tolérance.

À part Florence Aubenas, journaliste en immersion, les autres n’ont pas les mots pour raconter ni pour interviewer. Ils sont nés d’un mariage consanguin entre pouvoir et presse, qui remonte à DSK et Anne Sinclair, s’est prolongé avec Jean-Louis Borloo et Béatrice Schönberg (on l’a oubliée), François Hollande et Valérie Trierweiler, Arnaud Montebourg et Audrey Pulvar, etc. Le pouvoir reste du côté de la barbe. Ils ont le même bagage et le même langage.

C’est qu’ils apprennent vite à parler, les sans-voix, face caméra, sans baisser les yeux (pourtant on leur a dit de ne pas regarder la caméra), avec des formules percutantes à la bouche et sur le dos de leur gilet, mieux qu’après dix séminaires avec des conseillers en com. Si les sans-voix prennent la parole, manquerait plus que les sans-dents aient l’idée de mordre.

Trop d’infos tue l’info : on hésite entre dégoût et pitié pour ces nouveaux journalistes esclaves de l’info en continu, essoufflés, meublant le vide, devenus des moulins à parole, multipliant les lapsus, débitant à la chaîne des banalités en roue libre. Supplice de l’âge du direct : tu n’as plus rien à dire, et tu dois continuer à parler.

Un dixième mort provoqué par les Gilets jaunes. Un dixième mort en marge des manifestations des Gilets jaunes. C’est le même mort, mais pas tout à fait la même information.

Au lieu d’admirer la tactique du leurre, le journaliste est furieux que les Gilets jaunes aient posé un lapin aux forces de l’ordre en leur faisant croire qu’ils allaient marcher sur Versailles. Ils auraient pu prévenir, pour qu’on mette les caméras au bon endroit. Les manifestants sont très « mobiles ». Les gardes du même nom les suivent au petit trot. Mais le ministère de l’intérieur assure que les gendarmes conservent la maîtrise du terrain. Ils ont appris la leçon de Cocteau : puisque ce mouvement me dépasse, feignons de le contrôler.

Un député Marcheur immobile, qui connaît le sens de l’Histoire : « Ils ne savent pas où ils vont, ils marchent sans savoir où, on voit bien que ça n’a plus de sens. » Tant que les ronds-points servaient à tourner en rond, le monde était en ordre.

Monsieur l’Expert légitime son titre en ramenant l’inconnu au connu, en marche arrière : 68, années 30, 1789, Jacqueries.

Tics des journalistes et des experts, l’adverbe précisément. Plus on est dans le flou des motivations, des buts et des explications, plus revient le mot précisément.

Qui témoigne pour le témoin ? Qui fera la police si les policiers se mettent en grève ?

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